Le “JIR”, “l’Équipe” : faits de société

30 mai 2006

La collaboration engagée entre le “Journal de l’Ile” et “l’Équipe” est un sujet d’étonnement en même temps qu’elle est révélatrice d’importants faits de société. Depuis 2 ou 3 ans, le “JIR” diffusait un supplément sportif titré "S". Cette publication résultait de la compilation d’un journal sportif diffusé gratuitement en Métropole qui se posait en concurrent direct de “l’Équipe”. S’il maintenait la parution de "S", le journal de la rue Maréchal Leclerc pouvait-il collaborer avec deux titres rivaux ? De même, le “JIR” appartient à un groupe de presse qui, sur le plan national, est concurrent de celui auquel appartient “l’Équipe”.
Jacques Tillier aurait donc réussi deux paris impossibles à tenir sur le plan national. En lieu et place de dépêches d’agence courtes et restant au niveau du factuel, en plus des articles style "magazine" du supplément "S", le “JIR” bénéficierait de chroniques plus longues, plus détaillées, mieux informées (les articles de “l’Équipe” sont souvent cités par les dépêches d’agence) et... très polémiques.

Cette nouvelle collaboration s’inscrit dans une évolution significative de la place du sport dans les médias réunionnais, dont la presse écrite. Pour ne prendre qu’un exemple, dans le numéro du 3 avril du même “JIR”, 11 pages étaient consacrées au sport, 3 à l’international et 3 à l’actualité hexagonale.
Avec du recul, on peut constater la fulgurante progression de la place du sport dans les médias locaux au cours des 20 à 30 dernières années ! Seuls le PMU, les annonces gratuites et, depuis peu, la rubrique dite "people" ont connu une aussi rapide ascension.
Cette évolution n’est pas sans conséquences sur le plan médiatique. En dehors d’une revue consacrée à l’automobile, toutes les tentatives d’imposer un hebdomadaire ou un quotidien sportif ont échoué à La Réunion.
En dehors de la presse économique (“Echo Austral”, “Leader”...), des hebdomadaires télé (“Visu”, “Star-télé”...) de titres consacrés au monde agricole (“Caro canne”, “Agri mag”...), de brochures gratuites sur le spectacle ou la culture (“Kwélafé”, “Flash Night”, “Calpin”...) des magazines municipaux, d’“Église de La Réunion”, des publications de l’INSEE, d’éditions consacrées au jardinage et à l’art de vivre (“Varangue”, “Maisons créoles”), nous avons vu disparaître : “Fangok”, “Expression”, “Artquivi”, “Bardzour”, “le cri du Margouillat”, “Regards Réunion”, “Golf Océan Indien”, “Grand Sud”, “Cap Soleil”, “CRAC”, “Vigie”, etc. “Musikalité”, “Akoz”, “Sangam” vivent parce que soutenus. L’existence de “Nout Lang” et de “Lo Reunioné” d’Aniel Boyer tiennent sans doute du miracle.

Cette évolution induit une échelle de valeurs propre à l’univers du sport dans les médias La primauté est donnée :

- au sport issu du monde occidental. Plus d’un milliard de téléspectateurs ont suivi la récente Coupe du Monde de cricket ; celle-ci est passée inaperçue à La Réunion. Nous connaissons le moindre détail du foot européen, mais nous ignorons ce qui se passe dans la même discipline à Maurice ou à Madagascar.

- à la pratique masculine des disciplines sportives ;

- et en dernier lieu au football.

- Comment expliquer une telle évolution ? Est-ce parce que la population réunionnaise comporte une part importante de jeunes, lesquels sont très branchés sport ? Ou bien, faut-il y voir l’extension dans notre île d’un phénomène plus général, celui de la mondialisation du sport et principalement du football ? Des experts et des analystes vont même plus loin et affirment que le football est le symbole même de la mondialisation.
C’est le point de vue défendu dans un livre paru récemment par Pascal Boniface. Ce professeur à Paris 7, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) est un consultant régulier de télévision (on le voit régulièrement dans l’émission "C dans l’air" diffusée sur Tempo). Pour lui, le football a conquis le monde de façon pacifique. Il estime que, contrairement, à la mondialisation "perçue comme une force venant dissoudre les identités nationales, le football en est le plus sûr ciment les populations se rassemblent autour de leur équipe nationale, porte-drapeau d’un pays et symbole consensuel d’une unité mise à mal".

- Cette opinion n’est pas partagée. Pour ne prendre qu’un exemple, dès juin 2002, à rapproche de la Coupe du Monde de football au Japon et en Corée, le “Monde Diplomatique” publiait un article sous le titre "Le cloaque mafieux du football mondial". Son auteur, Patrick Vassort, notait qu’ "aux indéniables venus pédagogiques du jeu - respect des règles, initiation à la vie en commun - se mêlent affairisme, corruption et dopage". Il expliquait : "Le football fonctionne comme un apprentissage de l’horreur économique" et de la mondialisation libérale : un esprit de compétition dévoyé par la loi du profit, une idéologie de la sélection fondée sur la violence et la force. Il martelait : "le football joue-t-il un rôle dans la diffusion de l’idéologie de la mondialisation ?" Oui, indiscutablement, si l’on admet que ce sport-industrie développe au plus haut point les deux paramètres les plus haïssables du système capitaliste. D’une part, un fonctionnement mafieux reposant sur la recherche du profit maximal (les dirigeants n’hésitent pas à recourir à des sociétés offshore dans des paradis fiscaux servant à blanchir l’argent sale, à corrompre, à magouiller au sein des clubs, à financer le dopage ou à mettre sur pied des paris clandestins).

- De récents événements lui donnent raison. Ce que nous apprenons ces jours-ci sur la Juventus de Turin n’est pas “joli joli”. Et que dire du fait qu’entre 30.000 et 60.000 femmes pourraient faire l’objet de traite à des fins d’exploitation sexuelle lors de la prochaine Coupe du monde de football en Allemagne ? Un phénomène dénoncé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) qui vient de demander à la FlFA de s’engager à prendre des mesures contre cette traite des femmes. Saurions-nous, au moment de la Coupe du Monde et à partir de l’initiative prise par le “JIR” menée sereinement un débat sur le football et la mondialisation ?

Marc Serveaux


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