La technocratie triomphante alliée à la sédation sociale par l’hyperconsommation. Ou, comment achever les ravages de l’identité réunionnaise…

Le monde de demain !

7 septembre 2021, par Arnold Jaccoud

En contrepoint de la récente Tribune signée par Michaël Crochet, et de sa réflexion pertinente autour de l’aménagement du « Parc du Volcan ».

« Quel est le plus important pour le développement d’un pays ? »… demandait déjà Edgar Pisani, ministre de De Gaulle… « l’homme ou le béton ?… C’est parce que trop de gens répondent encore : le béton… que le chemin sera long. » On n’en a jamais fini avec ça, décidément !

Depuis trop longtemps, La Réunion soumet son devenir à tous les modèles exogènes possibles, et on en observe les fruits acides tous les jours : hyperconsommation du bric-à-brac importé ici sans mesure, population dépendante et assistée, inégalités économiques et sociales gigantesques, absence total de contrôle citoyen sur le fonctionnement politique et sur ses dérapages, déficit de conscience civique conduisant à l’évacuation des solidarités et aux replis de chacun sur ses intérêts strictement privés… L’individualisme et l’égocentrisme, c’est toujours la réponse de ceux qui n’ont aucun rôle, ni aucun pouvoir dans l’élaboration des décisions qui les touchent et concernent concrètement leur existence.

Bien loin d’être dépourvus d’intelligence et de force d’initiative, nous, réunionnais, sommes contenus dans le fénoir par le type même de développement qu’on nous a imposé et qui nous plombe. Nous disposons pourtant nous-mêmes des capacités de notre propre développement. Nous saurions le générer par nous-mêmes, si les conditions nous étaient données de l’épanouir, au-delà des étranglements technocratiques et institutionnels produits par des politiques dont on voit toujours qu’elles sont mises au service de l’intérêt des lobbys et des sommets des hiérarchies manipulatrices que nous avons la faiblesse de tolérer… Ah l’exquise obtention des bénéfices secondaires !

« Jeter un œil sur les taux d’abstention électorale »

La société réunionnaise n’a de fait aucun pouvoir d’agir sur son destin. Ni sur son présent, ni sur son avenir. Les élites réunionnaises semblent chroniquement paralysées par leur soumission à tous les apports extérieurs. Le « syndrome de la goyave de France » a définitivement intoxiqué une société qui sacrifie depuis longtemps, non seulement son identité, mais ses énergies créatrices à l’emprise de dynamiques exogènes jamais maîtrisées. Sous beaucoup d’aspects, La Réunion, dont le potentiel endogène de développement demeure phénoménal, se laisse aller à devenir une vulgaire banlieue ravagée par les méfaits de la mondialisation… La responsabilité en incombe aux élites, au travers de leurs réseaux toujours un peu douteux, de leur dépendance mentale séculaire à l’égard de la métropole et de certaines ambitions locales démesurées.

Paradoxalement, en dépit de l’élévation constante du niveau de vie, la population finit par souffrir des conceptions technocratiques qui régissent l’existence collective et des décisions planifiées, produites par les spécialistes et les experts « d’en haut », à l’origine de tous les malaises diffus, perceptibles tant sur le plan social et politique qu’économique. Ceux-là nous amènent à croire que la société, nous n’en faisons partie qu’accessoirement, qu’il n’appartient pas à l’ensemble des citoyens d’en décider, parce qu’elle est la propriété des « autres », de ceux qui savent et peuvent toujours à notre place, les experts, les gros zozos, les puissants d’ici ou ceux qui viennent de « lot koté la mer »… Beaucoup d’entre nous en sont par conséquent parvenus logiquement à se désintéresser des orientations qui décident de nos existences pour des générations, puisque, de toute façon « on n’y peut rien ». « Moin lé pa la eksa… ». Il n’y a qu’à jeter un œil sur les taux d’abstention électorale.

« Restituer le pouvoir social d’agir »

Les mesures, filières et empilements institutionnels ne font qu’accroître la dépendance assistée des populations, la démission et la déresponsabilisation. Et drame de ce circuit réverbérant, plus les systèmes institutionnels veulent, pour « réparer », agir en faveur des gens, de leur « développement » et disons-le, à leur place… et plus ces gens ont des réactions de revendications et des attitudes protestataires considérées comme immatures et irresponsables… Pourtant, les apports exogènes sont clairement indispensables au développement collectif, mais à la seule condition que les énergies endogènes locales en assument la maîtrise.

C’est cette combinaison maîtrisée et équilibrée de l’endogène et de l’exogène, entre « sak nou néna » et « sak i sort déor », qui pourrait restituer à la fois le pouvoir social d’agir, la conscience personnelle et l’affirmation identitaire. Fondamentalement, l’initiative de tout projet ne peut provenir que des gens, habitants ou citoyens, entrepreneurs de leur existence. Ils doivent être au cœur de l’action, de son appropriation, de son contrôle et ceci d’un bout à l’autre. Chaque groupe social, chaque segment de population doit pouvoir vivre sa transformation et son évolution. Il ne le fait qu’en s’impliquant dans des opérations à sa dimension et dans lesquelles son potentiel peut s’exprimer.

« Lorsque l’exogène impose ou importe ses modèles propres... »

Mais lorsque l’exogène impose ou importe ses modèles propres, notionnels, organisationnels ou bureaucratiques, les réalisations auxquelles il parvient aboutissent sans cesse à la destruction de l’énergie sociale, voire de la socioculture même des intéressés. Elles conduisent à accroître la passivité, l’inertie, la dépendance, la frustration, l’indifférence ou la revendication.

La résultante est un sentiment collectif chronique d’injustice et une exaspération sociale toujours prête à éclater, qui touche tous les niveaux de la population. Elle se nourrit des abus ou des inconséquences dont se rendent coupables tous ceux qui détiennent du pouvoir, même en quantité minuscule. On ne peut croire cependant à la réaction d’une population, dont la majeure partie, dépendante de prestations sociale et de modes de communication infantilisants, n’est guère associée à une conscientisation qui lui restituerait un pouvoir d’agir transformateur de ses conditions de vie en définitive pénalisantes…

Arnold Jaccoud, le 6 septembre 2021

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