Le parent : acteur et chercheur en éducation

4 novembre 2013

Si la dimension d’acteur essentiel dans l’éducation de l’enfant est socialement reconnue chez le parent, notre culture est loin de reconnaître celle de parent-chercheur en éducation. Celle-ci pourrait se caractériser par la capacité à soulever de nouvelles questions, comme dans toutes démarches de recherche.

Nos préjugés invitent à penser que « Tout parent serait potentiellement un chercheur qui s’ignore, mais aussi un praticien-expérimentateur » . Il agit en fonction d’une théorie qui le guide, mais non débattue collectivement. Cette théorie tacite est à la fois consciente et inconsciente. Contrairement au chercheur de métier encouragé du fait de son environnement professionnel à remettre en cause ses théories, le parent, lui, a été ignoré socialement dans ses capacités potentielles de chercheur. Il n’existe aucun lieu institué de confrontation de point de vue, d’idée, un forum en quelque sorte.

De façon pragmatique, le parent se fait une idée à propos d’une question éducative en se libérant plus ou moins de sa (ou de ses) théorie(s) tacite(s). Il traduit en acte éducatif sa théorie, la croyant bonne en l’appliquant sur son enfant, il en constate les résultats a posteriori, il peut changer empiriquement d’attitude en fonction des réactions de l’enfant sans qu’il soit encouragé socialement à se poser de nouvelles questions...

« La famille, un laboratoire »

Généralement, il n’est pas dans l’attente d’une nouvelle idée qui modifierait sa théorie pré-existante. Il considère comme valides les résultats de ses actes éducatifs sans avoir la possibilité d’envisager d’autres attitudes pensant qu’il agit de la bonne façon. L’autre parent d’une même famille peut remplir cette fonction questionnante qui anime tout chercheur : « Est-ce que je fais bien ? », « Qu’en penses-tu ? », « Suis-je sur la bonne voie ? », « A ma place, que ferais-tu ? ». La famille pourrait devenir ainsi un laboratoire.

Prenons du recul et tentons pour commencer de situer le parent à partir de deux “positions” pour déboucher sur une troisième voie peut-être “médiane” et nouvelle, la position réflexive . Dans un premier temps, on parlera de parent « pragmatique ». Ce terme vient du latin pragmatica sanctio, « relatif à l’action (pragma) » . Il a évolué pour rendre compte d’une action adaptée sur le réel, ou d’une idée qui est susceptible d’applications pratiques concernant la vie courante. C’est une pratique qui accorde la première place à l’action et veut associer aussi une personne pragmatique à une personne efficace. Une éducation basée sur un pragmatisme éducatif devient une doctrine qui accorde comme critère de vérité la valeur pratique. Un exemple, certes caricatural, serait : « une bonne fessée, ça ne peut faire que du bien quand elle arrive au bon moment ».

« L’art d’être parent »

Nous proposons de mettre en opposition à des fins de réflexion et d’introspection la position empirique. Le terme « empirique », d’origine grecque et latine empiricus, ne tient aucun compte des données de la science. On peut s’accorder a minima sur cette définition : celui qui se fierait à l’expérience spontanée ou commune. La dimension expérientielle de l’attitude empirique est cependant valorisée et pourrait devenir le stade préalable à une science de la parentalité ou, en termes plus simples, « l’art d’être parent ». Appliquée à l’éducation d’un enfant, elle devient : « Ceci ou cela a donné tel ou tel résultat, pourquoi ? » . Ou encore : « Je vais changer d’attitude et voir ce que cela va donner ». Cette position empirique n’est pas possible continuellement, car les besoins de l’enfant nécessitent des réponses rapides, spontanées, de la part du parent. La position de chercheur empirique consiste cependant à créer des moments pour l’analyse des différentes causalités tout en sachant qu’il est illusoire de tomber sur LA bonne causalité, elles sont plurielles. Ces moments amèneraient le parent à acquérir une méthode l’aidant à se poser des questions lui permettant de rechercher les meilleures attitudes en fonction de l’enfant. C’est un progrès sur la position pragmatique.

Il nous faut maintenant tenir compte de l’intelligence innée de tout un chacun concernant la vie : on présupposera que tout parent en tant qu’individu, mère ou père, sait dès sa naissance ce qui est bien et ce qui est mal pour la vie elle-même (selon les déductions des travaux de l’éthologue David Premack notamment). Ce savoir, provenant de dispositions innées, serait commun à tout individu humain (et même aux primates supérieurs). Le nouveau-né le possèderait, c’est ce que nous appelons de nos jours « les capacités de discriminations sensorielles du nouveau-né », une intelligence naturelle. Discriminer, c’est savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais pour la vie. Ces capacités sont ensuite développées ou a contrario inhibées ou oblitérées par la culture, l’éducation, le mode de vie… De fait, ces capacités se reporteront avec plus ou moins de spontanéité et d’efficience auprès des enfants à venir suivant que la personne aura été respectée dans cette dimension sensoriellement sensible et discriminante dès son enfance. On pourrait peut-être aussi dire dès sa conception ! Ces capacités seraient passées plus ou moins inaperçues au fil de l’histoire des relations parents-enfants alors que de nos jours, les découvertes scientifiques les plus récentes nous révèlent avec beaucoup d’éclat que l’être humain est effectivement dès la naissance intelligent naturellement.

L’éducation, « un chemin qui se créerait en marchant »

Dès lors, un nouvel enjeu se profilerait : celui de promouvoir collectivement une culture éducative que l’on pourrait qualifier « d’intelligence culturelle » pour aborder ce troisième temps, but de ce courrier : « la position réflexive et introspective » qui accorde de la valeur à la réflexion étayée par les données informatives des sciences utilisées pour repenser l’éducation. Le parent praticien-chercheur-expérimentateur tiendrait compte des données de la science et chercherait ce qui doit muter pour faire évoluer sa théorie éducative continuellement mise en chantier. L’éducation serait « un chemin qui se créerait en marchant » associant l’enfant comme co-auteur de son développement avec ses parents.

Pour cela, on pourrait faire confiance aux possibilités de réflexion du parent-chercheur afin qu’il critique la culture, la libérant de ses préjugés, de ses jugements, des habitudes de penser qu’elle impose comme “allant de soi”, des différents arbitraires culturels tout en maintenant le principe du respect des croyances et des différences vis-à-vis d’autrui… On peut imaginer que si le parent est encouragé socialement dans sa dimension de chercheur en éducation, il développera ce côté intelligent de la culture ; dès lors, l’enfant évoluera dans des conditions plus satisfaisantes pour son développement qu’actuellement. Le parent reconnu et aidé socialement comme chercheur se sentira moins isolé. Il aura tendance plus facilement à rencontrer d’autres chercheurs tels que les professionnels de l’enfance et d’autres parents. Généralement, il existe une ambivalence entre ces deux groupes, alors qu’ils sont pourtant complémentaires ; elle devrait s’estomper. Le parent-chercheur collaborerait avec les professionnels de l’enfance dans un rapport de réciprocité et non dans des rapports conflictuels marqués par l’ignorance, l’infériorisation ou encore par la domination des uns sur les autres.

Cet article avait été signé par Frédéric Tsang King Sang et Frédéric Paulus le 14/10/2006. Il est toujours d’actualité.

(Les intertitres sont de “Témoignages”)


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