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par le Dr Raymond Vergès

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Le YI King (1) et un lien neuronal entre l’Orient et l’Occident ?

jeudi 10 octobre 2013

De nos jours, les chercheurs en neurosciences pensent que la pensée repose sur des « cartes », des réseaux, des aires neurofonctionnelles, des modules neuronaux assurant ainsi de façon autonome son fonctionnement. Lorsque nous pensons, nous n’avons pas conscience de ces réseaux neuronaux sous-jacents. Cette inconscience de notre propre cerveau assure à la pensée une indépendance de l’imagination, alors que nous croyons maîtriser les idées que notre pensée produit.

Si je vous lance une balle rouge, plusieurs aires visuelles de votre cerveau s’activent simultanément pour garantir la cohérence des perceptions externes. On peut imaginer une pluralité de composants qui influencent notre personnalité en activant des perceptions, celles-ci de façon endogène (de l’intérieur du psychisme) sans garantir pour autant une cohérence de l’ensemble, une « cacophonie » peut même être envisagée selon Michaël Gazzaniga (2). De nombreuses recherches sur le traitement inconscient des informations vues plus haut débouchent sur une conception illusoire de l’unité d u moi, qui devient plus une mosaïque de sous-personnalités considérées comme un ensemble en interaction systémique, une sorte de kaléidoscope psychique. Cette mosaïque de composants internes (ou modules) concourt à une vision harmonieuse (et) ou disharmonieuse, qui se révèle effectivement défaillante lorsque le moindre accident vasculaire cérébral par exemple vient disloquer cette harmonie apparente prodigieuse.

Lorsque nous étudions les rêves on s’aperçoit que cette conception harmonieuse est également « fragile », car elle est sans cesse remise en question face à ce qui est considérées comme les « bizarreries » apparentes des rêves. Lors d’une même nuit, nous pouvons faire un rêve évoquant une attitude altruiste, et plus tard dans la nuit, à l’opposée, être impliqué dans une altercation manifestement égoïste. Ces deux attitudes seraient-elles l’expression d’une personnalité unifiée ou seraient-elles parasitées par des évènements qui s’imposeraient à nous-mêmes sans que nous en soyons l’artisan (2), en pleine méconnaissance de nos états intérieurs, qualifiés aussi d’états mentaux, (ou encore d’états d’âme) ?

Les auteurs chinois du Yi King (1) auraient eu l’intuition de notre vie intérieure comme influencée par les différentes facettes de notre personnalité, à la manière de ce « kaléidoscope psychique ». À 64 réalités !? Plus encore, ces auteurs se mirent à vouloir explorer le psychisme (ou l’âme) par tâtonnements suggestifs et introspectifs. Pouvons-nous, par exemple, être altruistes et égoïstes à la fois ? Le sage chinois dirait, en reprenant les paroles du Yi King  : « Lorsque le yang a atteint sa puissance la plus grande, la force obscure du yin croit à l’intérieur de lui, car à midi la nuit commence, le yang se brise et devient yin » (1).

Sans reconstituer la genèse d’un des textes canoniques de la pensée chinoise qui constitue selon Anne Cheng « toute la vision spécifiquement chinoise des mouvements de l’univers et de leur rapport avec l’existence humaine », p. 255 (3), il est significatif de mentionner que deux thèses sont débattues sur son origine. L’une évoque deux auteurs et éditeurs à l’origine de cette création, dont le noyau originel remonterait à la fin du XIè siècle av. J.-C.

Pour l’autre thèse « il s’agit au départ d’une anthologie, transmise oralement en évolution continue, de présages avec leurs pronostics, de dictons populaires, d’anecdotes historiques et de propos de sagesse sur la nature, qui furent regroupés en un manuel autour d’un dispositif de 64 hexagrammes, avec leurs traits pleins et brisés, par des devins qui se fondaient sur la manipulation de tiges d’achillée pour obtenir des oracles » (p.257). Du Livre des Divinations, il est devenu au IIe siècle apr. J.-C. le livre des Transformations (ou Mutations).

Ce courrier établit un lien neuronal entre ces modules qui génèrent la pensée d’un moi qui recherche son illusoire unité (1) avec ces tâtonnements empiriques chinois qui devaient dynamiser par ces 64 hexagrammes, « kaléidoscopiques », une fonction suggestive et introspective, de nos jours assurément discréditée par la pensée objectiviste inscrite dans le droit fil du : « Je pense donc je suis ».

Edgar Morin (3) disait en volant réhabiliter l’introspection que nous avons un ennemi polymorphe qui est nous-mêmes : « Nous avons en nous non pas un microcosme qui contient le macrocosme »… « Je suis en colère, je suis mélancolique, gai, joyeux »… « Nous ne savons pas à quel, point les forces génériques du monde vivent en chacun de nous ». Cette dimension introspective les « vieux sages » chinois l’avaient pressentie. Peut-être nous fait-elle défaut alors que nous voulons tout maîtriser ?

Nous remercions en rendons hommage à Frédéric Tsang King Sang qui nous a sensibilisés à la culture traditionnelle antique chinoise.

L’équipe du CEVOI (Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien) dont Frédéric fut le premier Président fondateur.

Références :
La traduction en français est une adaptation due à Étienne Perrot de la traduction allemande du Père Richard Wilhelm, (1979) Le livre des Transformation, Médicis.
Michaël. S. Gazzaniga, (2013), Le libre arbitre et la science du cerveau, Odile Jacob.
Anne Cheng, (1997), Histoire de la pensée chinoise, Seuil.
Edgar Morin, (1990), Réhabiliter et réarmer l’introspection , p. 7-26, Revue psychologie et motivation, N°9, Cercle d’Etudes Paul Diel.


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