Les choses qu’on ne sait pas

6 octobre 2018

(ou : message d’un père effondré, à tous les papas du monde)

Je ne savais pas que la curiosité était le propre des petits. Pour moi ils n’étaient que des éponges qu’il fallait humidifier de mon savoir. Pauvre père ignorant, las de répondre aux questions incessantes de mon fils, combien d’occasions ais-je raté de l’aider à grandir ? Oui, ils absorbent tout, mais le résultat n’est pas ce salmigondis sans âme et sans structure que l’on prête aux bébés. Non, petit à petit l’enfant avide de savoir, de connaître, construit sa vision du monde. Chaque jour, ses gestes, son regard avide scrute, analyse, observe. Observez-les ces petits, peu de choses leur échappe. Le physique et le mental, d’une mobilité inouïe, n’est jamais en repos. C’est comme cela qu’ils se construisent. C’est comme cela que mon fils devient une personne, un homme avant l’âge, un interlocuteur dont les réparties surprennent.

Alors, un jour, il a dix-huit ans. Déjà. Mais pour moi c’est encore un enfant. Oui, mais un grand enfant que j’aime. Je veux l’accompagner le mieux que je peux pour la dernière étape, avant qu’il ne me quitte. Pris un peu au dépourvu, en ce dimanche matin, je franchis le pas. Il faut que je sois à la hauteur de mon petit homme. Il vient de passer son permis de conduire. Très gentiment, comme il sait le faire, il me demande la voiture pour accompagner sa nouvelle copine à la foire du village. Ce n’est pas loin et je le sais raisonnable. Il y a longtemps que, accompagné ou pas, il conduit ce véhicule puissant. Je craque et le laisse partir seul avec une légère appréhension mais une grande fierté devant mon œuvre : un homme, un futur papa, comme moi.

Après l’accident, mon regard tombe sur un petit dessin à l’intérieur de la portière de la voiture de mon épouse. Une bouteille et, à côté, un verre barré d’une croix. Je ne l’avais jamais remarqué mais je comprends tout de suite qu’il s’agit d’informer le conducteur qu’il peut loger dans la portière une bouteille bouchée mais pas un verre empli de liquide. Quel luxe d’information et de conseil ! Et là, je m’écroule en sanglot. C’est une autre information, beaucoup plus importante qu’il aurait fallu donner à mon fils. Percuter un arbre à 20 à l’heure, ça fait des dégâts, mais il n’y a pas mort d’homme. À plus de 100km à l’heure, c’est la mort assurée, même avec la ceinture. Ils sont morts tous les deux, elle n’avait que 16 ans.
 
Un papa

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