Lettre aux cyniques et à ceux qui refusent de voir

11 juin 2003

L’Éducation nationale n’est pas un service public comme les autres, lesquels méritent d’ailleurs tout autant notre soutien en ces temps difficiles. L’Éducation nationale est une institution de la République : l’École publique, laïque, gratuite et obligatoire est née avec la République. Les fondateurs de la IIIème République lui ont donné pour mission de former des esprits éclairés et des citoyens libres.
Pour ce faire, il importait d’ouvrir l’horizon de la jeunesse par l’acquisition du savoir, de l’extirper du déterminisme géographique, social et professionnel dans lequel on la confinait. L’espoir d’une promotion sociale par l’École était désormais de l’ordre du possible. (…)
Tous ne purent prendre place dans l’ascenseur social. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron constataient dès les années 1960 qu’à peine 20% des étudiants étaient issus des milieux populaires. Aujourd’hui ils sont à peu près 8%. L’ascenseur social est en panne.

La crise du dernier quart de siècle, la perte des repères et le délitement social provoqués par le chômage, le repli sur soi et la fracture sociale qui s’amplifie n’expliquent pas tout. L’École de cette fin de siècle a confondu massification et démocratisation, efforts pédagogiques et pédagogie de l’effort, place de l’enfant et place du savoir. Le goût de l’effort, la promotion de tous, l’émulation par le mérite se sont éclipsés derrière le dogme de l’épanouissement de l’enfant, épicentre du système éducatif. Qu’importe qu’il réussisse pourvu qu’il en ait l’ivresse !
Qui contredira Luc Ferry lorsqu’il insiste sur le fait que le rôle de l’École est de transmettre les savoirs fondamentaux ? Pourtant ses paroles sont en parfaite contradiction avec ses actes lorsqu’il engage, au même moment et par la décentralisation, un démantèlement tout à fait libéral de l’École ? Il s’agit ni plus ni moins d’adapter le système éducatif français, que beaucoup nous envient, aux contraintes de l’Europe de Maastricht et à la mondialisation libérale orchestrée par l’OMC. (…)
La décentralisation de l’Éducation constitue un véritable marché de dupes. Le gouvernement espère faire financer par l’augmentation de l’impôt des collectivités locales les promesses qu’il n’est pas capable d’honorer, avec à la clé la régionalisation de l’enseignement. (…)
"L’éducation restera nationale", répètent à qui veut l’entendre Raffarin et Ferry, relayés par leurs rabatteurs locaux Virapoullé, TAK et Poudroux... Sauf que suite au décret n° 2003-181 du 5 mars 2003, Monsieur Luc Ferry n’est plus "ministre d’État, ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des sports" mais "ministre chargé de l’Éducation". Un point de détail certainement ?! (…)
Il faut être quelque peu malvoyant ou complètement cynique pour refuser de décrypter les intentions réelles du gouvernement Raffarin. Nous assistons bel et bien aux prémices du démantèlement de l’École de la République. Elle n’est certes pas parfaite notre École, mais elle tend à l’égalité devant l’enseignement et à la promotion de tous. Il faut la protéger et l’améliorer. Le rôle de l’institution scolaire doit être réaffirmé avec énergie pour relever le défi de la scolarisation de masse. (…)

Le gouvernement doit cesser les coupes budgétaires, abandonner ses projets de suppressions de postes de surveillants et d’aides éducateurs, outils nécessaires à la promotion sociale, retirer son projet de déplacement arbitraire de milliers de fonctionnaires. Il doit enfin et surtout entamer de véritables négociations sur le problème plus général des retraites. C’est à ce prix que les "grognards" de l’Éducation nationale, formant dans la rue le dernier carré autour de l’École publique, accepteront de retrouver le chemin de leur classe et de redevenir ces "hussards" de la République, enseignant les valeurs d’une École publique préservée des dérives libérales. On ne peut bien évidemment enseigner que les valeurs auxquelles on croit.


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