Madiba, ce héros

10 décembre 2013

Plus jeune, de l’Afrique du Sud, j’entendais surtout parler de l’apartheid et de cet homme noir qui était emprisonné depuis des années à cause de ses idées, Nelson Mandela. En 1994, lors des 8èmes de finale de la Coupe d’Afrique des clubs vainqueurs de coupe de football, l’USST rencontre le club sud-africain de Total Aces Witbank à Pretoria en avril 1994. Je faisais partie de la délégation tamponnaise en qualité de joueur.

Un match à haut risque, une victoire politique qui change la face du monde…

Le pays était en proie à des violences raciales avec comme enjeu central les premières élections démocratiques dans le pays. Quelques jours avant notre départ, une bombe éclata en plein cœur de Johannesburg, faisant plusieurs morts. La veille, un autre attentat avait détruit une partie de l’aéroport de la capitale. Toute la presse internationale avait leur plume et leurs caméras pointées sur ces faits divers et cet évènement historique. Le 21 avril 1994, nous arrivâmes en Afrique du Sud en pleine tension électorale. On était accueilli dans le pays par des militaires armés partout dans l’aéroport. Une partie du bâtiment était détruite. L’ambiance était pesante dans la délégation. Pas une mouche ne volait dans le bus qui nous conduisait à l’hôtel. Seules les quelques blagues du coach sur Christian de RFO viennent briser ce silence… On était tous inquiet, pour ne pas dire apeuré. A l’hôtel, on nous a demandé de ne pas sortir à la tombée de la nuit (d’ailleurs, Fares a une anecdote à ce sujet). Si on voulait visiter la ville, il fallait rester ensemble et s’habiller en tenue de sport, afin que les gens sachent que nous sommes des sportifs étrangers, car ils ne comprendront pas que des Blancs et des Noirs puissent se promener ensemble… Lors de cette balade, partout des civils armés : sur les toits, devant les magasins, devant les entrées des immeubles, dans la rue… Le plus terrible pour nous, c’était de découvrir les conditions de vie et de lire les inscriptions sur les panneaux : « Trottoir blanc » d’un côté, “Trottoir noir » de l’autre ! Toilettes interdites aux Noirs et aux chiens ! La veille du match, un dirigeant du club sud-africain nous propose d’aller visiter Jobourg et le cratère laissé par l’explosion de la bombe quelques jours auparavant. Fred, Daniel et moi sommes gentiment restés cloîtrés à l’hôtel !!! La traversée des townships de Soweto pour aller à l’entraînement fut l’un des moments extrêmement marquants au regard des conditions de vie et de l’histoire de ce village rebelle, l’un des plus pauvres d’Afrique du Sud. Le jour du match, le samedi 23 avril 1994, à Pretoria, en arrivant au stade, avec encore les buts avec des poteaux carrés, on découvre de grands panneaux indiquant la tribune des Blancs qui était couverte et la tribune des Noirs sous le soleil… Le lendemain du match, le dimanche 24 avril 1994, nous regagnâmes La Réunion, soulagés malgré la défaite 1 à 0, mais tous marqués et bouleversés par ce que l’on a vu et vécu.

Le 26 avril ont eu lieu les élections sous hautes tensions et tout le monde redoutait un embrasement du pays à la suite de la proclamation des résultats des élections et la victoire attendue du premier président noir, Nelson Mandela. Beaucoup criaient à la vengeance… et pourtant…

Le sport comme ciment de la reconstruction et du pardon…

La grande victoire de ce pays dans sa reconstruction individuelle et collective aura été cet homme hors du commun. Ce dieu, ce père, Madiba pour les Sud-Africains. Grâce à ses convictions, à sa foi en son peuple sans distinction ethnique, il a empêché que son pays, pour lequel il a sacrifié 27 ans de sa vie, ne sombre dans une guerre civile, dans un génocide. La victoire de l’équipe nationale de rugby, les Springboks, championne du monde en 1995, et le triomphe de l’équipe nationale de football, les Bafana bafana, vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations en 1996, y contribueront grandement, car pour la première fois, il n’y avait plus de différence et le peuple sud-africain était uni derrière son pays qui triomphe. Dans son discours après la victoire des rugbymen sud-africains sur la scène mondiale, Nelson Mandela déclara cette phrase qui restera célèbre : « Le football, aussi bien que le rugby, le cricket et les autres sports collectifs a le pouvoir de guérir les blessures ». Utiliser le sport et surtout les évènements planétaires comme support pour rassembler, unir et reconstruire son nouveau pays, telle a été la vision de Mandela. Le pays accueille ainsi la Coupe du monde de Cricket en 2003, mais surtout, l’Afrique du Sud se voit confier l’organisation de la prestigieuse Coupe du monde de Football en 2010. Une première pour cet immense continent et une grande fierté et de la reconnaissance pour le peuple sud-africain.

L’engagement de Mandela et sa notoriété sont le socle du vivre ensemble sud-africain. Sa disparition ne laisse personne insensible. Même si je ne l’ai jamais rencontré, ce voyage pendant ce moment déterminant dans le processus de paix de l’Afrique du Sud aura laissé des traces et influencé ma modeste existence. On fait une montagne des petites choses qui nous chagrinent, mais quand on sort d’une expérience comme celle qu’on a vécue, on en ressort changé, différent. J’ai beaucoup lu sur sa vie, et son livre “Conversations avec moi-même” est un ouvrage bouleversant…

L’Homme n’est plus, mais l’œuvre restera à jamais…

Sa disparition est une grande perte pour l’Afrique du Sud, mais aussi pour le monde entier, car son combat et sa sagesse ont dépassé les frontières de ce pays et ont influencé grand nombre de ce monde.

Ce matin, en entendant la nouvelle malheureusement attendue, cela m’a attristé. J’ai pensé à mes anciens coéquipiers de l’USST et à ce voyage inoubliable, et j’ai voulu, en toute humilité, rendre hommage à ce héros, à mon héros, à ce vrai héros, muni de supers pouvoirs humains exceptionnels à l’image de sa vision et de sa grandeur d’esprit. Respect Madiba…

« Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi-unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. Le sport se joue de tous les types de discrimination » . Nelson Mandela.

Dominique Goumane

Nelson Mandela

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