Mensonge d’État

4 mars 2006

Y aurait-il une véritable culture du mensonge d’État ? Non pas parce que l’État, quelles que soient les époques et quels que soient ceux qui le dirigent, soit, par définition, menteur, mais tout simplement parce que l’État, chacun le sait bien, ne se trompe jamais. L’exemple de ce qui se passe pour le chikungunya aurait tendance à l’attester. (1)
Dès son arrivée à Gillot, il y a une semaine, le ministre de l’Outre-mer, avec une certaine arrogance mais surtout avec beaucoup d’impudence, avait lancé "Ce n’est pas avec la polémique que l’on combattra le chikungunya". Le Premier ministre, au cours de son passage éclair, l’a repris à son compte, avec en plus le panache, ou l’arrogance comme on voudra, qu’on lui connaît : "Toutes les polémiques sont déplacées", a-t-il lancé sabre au clair.

Bien sûr que ce n’est pas avec la polémique que l’on tuera le moindre moustique ! Pas plus qu’avec les rondes, les rodomontades voire les gesticulations ministérielles, d’ailleurs ! Ni, il faut l’ajouter, avec les assauts de démagogies.
Sauf que s’il y a polémique, c’est que quelqu’un, quelque part, ne dit pas la vérité et veut, par tous les moyens, se défausser de ses propres responsabilités. Et c’est bien là le problème : personne à La Réunion ne croit plus en rien ni en personne ; tout le monde soupçonne tout et rien à la fois. Tout cela parce qu’on n’a pas dit la vérité, que l’on ne veut pas reconnaître officiellement ses propres erreurs et que l’on persiste à faire comme si de rien n’était et qu’à la limite, c’est de la faute des Réunionnais eux-mêmes. À croire que, vu de Paris, tous ceux qui ont été atteints de chikungunya du début 2005 jusqu’au mois de décembre ne sont que des malades imaginaires ! Et les médecins de La Réunion, des médecins malgré eux ou des docteurs “l’eau sucrée” ! Tant il n’y a de vérité que celle venant de Paris.

Or, tout le monde sait que, de Paris comme des grands services à La Réunion, on a sous-estimé le problème, que l’on a refusé d’entendre des voix réunionnaises lesquelles n’ont pas arrêté de tirer la sonnette d’alarme depuis le début de l’année dernière ; et d’une certaine manière, car il faut bien appeler un chat un chat, on a eu, officiellement, une attitude arrogante, méprisante jusqu’à présenter cette épidémie qui débutait comme une simple grippe, voire une "grippette" !
Certes, il ne saurait être question, à la date d’aujourd’hui, de cesser toute action pour se consacrer uniquement à faire le procès de ces manquements ; pas plus qu’il ne saurait être question d’exiger de l’État, de ses représentants, une sorte de chemin de croix de repentance : la question n’est pas là. Il s’agit tout simplement de reconnaître une erreur, d’admettre qu’il y a eu des disfonctionnements, pour pouvoir, tranquillement, plus efficacement, sans retenue ni polémique, renforcer la lutte contre cette épidémie. D’où la nécessité impérieuse d’une commission d’enquête parlementaire qui instruirait l’affaire, pendant que l’action, elle, se développerait, et non pas une simple “mission d’information”, comme c’est le cas. Alors, toutes les pistes devront être explorées pour “tirer au clair”, par “devoir de vérité vis-à-vis des Réunionnais, par devoir de vérité vis-à-vis des Français” et toutes les opinions devront être prises en compte, y compris celle exprimée par le député de Paris Le Guen, qui n’est pas sans fondement et qui est partagée par nombre de Réunionnais.

C’est là, d’abord, un minimum de respect pour les souffrances des milliers, des dizaines de milliers de personnes atteintes par la maladie ici à La Réunion.
C’est là une condition sine qua non du rétablissement d’une confiance perdue et par voie de conséquence de l’engagement entier des Réunionnais dans la bataille contre ce fléau. Chacun étant alors persuadé, à partir de la reconnaissance de ces erreurs, qu’un état des lieux sera fait, que des mesures seront prises pour l’avenir afin que cela ne se reproduise plus.
Ne pas le faire, s’entêter dans ce qui sera, forcément, interprété comme l’erreur, même en y ajoutant des graphiques faits sur mesure. Pire, cela ne fera qu’alimenter la polémique et ne fera que provoquer toutes sortes de dérapages.

Sans trop rêver, mais si cela pouvait convaincre qui que ce soit, un seul exemple : l’actuel président de la République a été un opposant acharné l’égalité du SMIC et des prestations familiales et sociales. Il y est même allé sabre au clair, contre ceux qui se battaient pour l’égalité ! Comme d’autres aujourd’hui ! Et puis, un jour, juste avant de débarquer à La Réunion, il a déclaré qu’il avait été induit en erreur par des techniciens qui avaient prétendu que la réalisation de l’égalité allait provoquer une catastrophe économique, sociale, etc... Constatant que les premières étapes réalisées n’avaient pas provoqué de catastrophe, il a conclu qu’il fallait donc réaliser au plus vite l’égalité. Il a ainsi changé la donne. A son avantage. Et à ce point que ses amis politiques lui ont, abusivement, attribué la réalisé l’égalité, et continue de le faire.

Si cette expérience pouvait inspirer certains, au-delà de toute considération politicienne, bien sûr, la bataille contre le chikungunya ferait un pas considérable. Et du même coup, on sortirait de cette logique du mensonge d’État.

Georges-Marie Lépinay

(1) On pourrait ajouter plein d’autres exemples : la poliomyélite, la brucellose, la route du littorale, le cyclone Jenny, etc, etc, sans oublier certains grands dossiers qui ont défrayé la chronique.


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