Monsieur et Madame Lambda sont inquiets

6 août 2004

Monsieur et Madame Lambda sont inquiets ; les vents sont indécis, tourbillonnants, changeants. Tous ces zigs et ces zags ne valent rien pour construire un projet, tracer une route.
Après "la droite dans ses bottes" et la gauche "petits crimes entre amis", voilà les télé-séries "RAF 1”, “RAF 2” et “RAF 3". Et ça tangue, ça tangue sévère comme un bateau à la dérive : plus de moteur, pas de voile et l’équipage réunionnais ne comprend plus rien aux ordres du capitaine métropolitain. On a mal partout : à la tête, à l’espoir, à la confiance... On doute.
Et pourtant, on y croyait au "meilleur d’entre tous", à "l’honnête homme" et pour finir à "la France d’en-bas" dont on allait s’occuper. Ils nous ont tous bien remerciés d’avoir voté pour eux et que bien sûr ils allaient se préoccuper de tout le monde car ils étaient les élus de tous, et nous avons applaudi.
Si, si, nous avons applaudi. C’est alors que doucement, tout doucement, alors que l’on voyait le candidat en campagne tous les jours, pour un oui pour un non, l’élu s’est fait plus rare, il n’était plus disponible sur son portable... Il était très pris ; c’est qu’il ne fallait pas rater les réunions au cours desquelles on se répartissait les postes de responsabilités, président de ceci, de cela, etc... etc. C’est bien et c’est sans doute nécessaire mais nous, pendant ce temps, nous attendions.

Et nous avons commencé à être inquiets, à douter mais aussi à prendre le temps d’ouvrir les yeux sur le spectacle qui nous était servi gratuitement dans les journaux et à la télévision. Spectacle à la fois gratiné et varié à l’extrême dans les filets de la justice remontant des grands fonds de l’Antarctique ou des jardins du Sud, ronds de jambes convenus lors des cocktails dans les salons de la République où les ors font tourner les têtes et enfler les chevilles, naissances de quelques Iznogoud voulant être calife à la place du calife, petites chamailleries entre amis de la même famille, agitation des marionnettes secouées un peu trop fort par leur "officier traitant" pour aller au “charbon”, voyages, voyages - enfin, nous voulons dire missions, missions - et des discours, du vent, des discours, du vent et encore des discours.
Bien sûr, tous les élus ne sont pas faits du même bois et nous en connaissons parfaitement certains qui sont de véritables élus du peuple et ne l’ont pas oublié.
Et pourtant, nous, et tous les Messieurs et Mesdames Lambda, nous attendions autre chose de toutes ces personnes que nous avions mandatées pour répondre à nos préoccupations : emploi, logement, enseignement, égalité des chances, équité, culture, développement ; nous attendions aussi que l’on nous demande notre avis sur la façon dont nous envisageons notre avenir car, nous aussi, nous avons fait un rêve, un beau rêve.

Nous pensions qu’enfin on allait s’attaquer à cette honte de notre département qu’est le mal-logement, que malgré les situations compliquées tissées par notre Histoire on trouverait les solutions qui permettraient de faire des pas décisifs dans ce domaine particulièrement sensible qui est la source fondamentale de nombreux maux de notre société.
Comment faire éclore et se développer une dignité, une fierté, comment favoriser l’éducation des enfants, comment veiller à la sauvegarde de la santé de tous et comment offrir des conditions minimum de bien-être ? Comment éviter tous les effets induits que sont le sentiment d’exclusion, la violence et les délinquances lorsqu’on vit dans un bidonville car - faut-il encore et encore le rappeler - on ne naît pas délinquant, on le devient.
Les agressions permanentes de la société vous poussent doucement mais quasi inéluctablement vers l’amertume, le désespoir, la révolte et la violence comme moyen de survie.
N’oublions pas que le droit au logement fait partie de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Nous attendons encore que ce dossier avance et nous nous demandons si le plan Borloo, le bien nommé "de cohésion sociale" suffira à relancer le logement social fortement ébranlé par la flambée de l’immobilier. L’homme n’a pas encore perdu son crédit, faisons lui confiance.

L’emploi est et restera un problème majeur dans notre île tant que le taux de natalité sera supérieur à celui des créations d’emplois. Ceci dit, si l’on observe ce qui se passe en métropole ou en Europe, de plus en plus de jeunes "bougent" à la recherche d’un emploi : combien de provinciaux "montent" à Paris, se dirigent vers les bassins porteurs d’emplois, les pôles technologiques, scientifiques, aéronautiques, l’Europe etc... etc... C’est vrai que la distance est moindre et le climat sensiblement identique. Mais pourquoi ne pas utiliser nos atouts et faire de La Réunion une plate-forme "haute qualité" pour notre région ?
L’idée n’est pas nouvelle mais elle est bonne et peut-être faudrait-il la mettre en pratique. Dans le domaine de la santé nous pourrions être la plaque tournante d’une coopération élargie qui valoriserait l’île et créerait de nombreux emplois, tant sur place que dans la région. Dans notre région, les problèmes sanitaires sont si grands, si majeurs, si vitaux qu’ils requièrent cette vision régionale et nous avons sur place des associations qui ont fait la preuve de leur immense savoir-faire en la matière.
Dans le domaine de la formation, tant au niveau de l’enseignement de base qu’au niveau professionnel de haut niveau nous avons des atouts réels certains : l’expérience, les hommes et les femmes, les moyens de réaliser les structures adéquates. Nombreux sont aujourd’hui les Réunionnais ayant une bonne formation, ne trouvant pas d’emplois correspondant à leurs qualifications et qui pourraient là aussi s’insérer dans le monde du travail ici ou dans la région.

L’enseignement est évidemment un chantier majeur. L’éducation nationale, malgré ses insuffisances et ses manques, est passée dans la société réunionnaise et a fait un excellent travail. Il reste certainement encore beaucoup à faire. Nous déplorons que de mauvais choix aient été faits :

- supprimer des adultes d’encadrement dans les établissements scolaires est une erreur majeure ;

- réduire les offres de formations professionnelles au niveau C.A.P. est une erreur majeure qui prive de nombreux jeunes de voies d’orientations positives ;

- laisser se développer sous nos yeux des îlots (on aurait aussi pu dire des ghettos) dans lesquels on s’en remet aux lois du déterminisme social figeant ainsi les situations sociales - “je suis érémiste, tu seras érémiste mon fils” ; “je suis cadre supérieur, tu seras cadre supérieur mon fils” - est aussi une erreur majeure.

Il faut donner l’égalité des chances à tous, que chacun puisse librement développer toutes ses potentialités. La Réunion a besoin de tous les jeunes, de toutes ses intelligences. Dans les discours, la jeunesse est toujours une grande richesse, et c’est vrai. Alors faisons que ce ne soit pas uniquement dans les discours et que l’on donne vraiment à la jeunesse tous les moyens d’être l’avenir de La Réunion.

La culture est un peu la parente pauvre de la politique et pourtant, c’est sur le terreau de la culture que progresse une société. Quel meilleur ciment qu’une culture partagée ! Pas d’évolution sans culture !
Là encore, nous avons de nombreux et sérieux atouts : le réseau des bibliothèques, des médiathèques, des musées, les archives départementales qui ne seront pas toujours handicapées par les champignons, et toutes les structures ou institutions qui, à travers la musique, la peinture, la littérature , la poésie et demain la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise - et j’insiste sur le DES CIVILISATIONS - animent un foisonnement d’activités culturelles qui ne demandent qu’à se développer.
Partager une même culture c’est d’abord se nourrir d’une même Histoire ; l’Histoire du peuplement de l’île est diverse ; et lorsque une communauté connaît sa propre Histoire, c’est bien mais cela ne peut suffire ; il faut tout connaître pour se reconnaître comme les enfants d’une même terre, cette terre de rencontres, de coexistence, de métissage.
L’université de La Réunion est riche de nombreux historiens. Ne peut-on leur donner la mission de rédiger, dans des recueils d’une centaine de pages chacun, l’histoire de chaque communauté composant la population de l’île ? Un vrai travail de chercheur, neutre, objectif, sans charge affective particulière. On doterait tous les collèges et lycées de collections de ces recueils pour que les enfants - tous les enfants - s’approprient cette connaissance et en fassent LEUR HISTOIRE. Voilà peut-être du blé à moudre pour la future Maison DES civilisations et de l’unité réunionnaise.
La Réunion a d’abord été découverte par des marins ; le monde est venu par la mer car l’île était sur les routes maritimes. Il existe aujourd’hui de nombreux réseaux culturels de très haut niveau qui regroupent des chercheurs du monde entier : La Réunion ne doit pas rester isolée, elle doit participer de ces réseaux pour offrir à tous ses universitaires des accès à l’évolution des connaissances, ce qui existe déjà, mais aussi mettre en place sa propre vitrine où, du monde entier des chercheurs viendront consulter et découvrir nos richesses.

Il faut des rêves ! Des ambitions pour sa terre autre que ses intérêts personnels et le souci de sa carrière. Nous savons que les rêves ne se réalisent pas d’un coup de baguette magique mais nous savons aussi qu’il y a toujours UN PREMIER PAS, celui qui coûte dit-on, mais celui qui imprime une dynamique .
Nous savons qu’il y a des personnes qui essayent de transcender les clivages partisans pour appeler aux responsabilités des gens qui ont déjà fait la preuve de leurs compétences dans certains domaines et à qui on a demandé de mettre ces compétences au service de l’intérêt général.
La Réunion a besoin d’hommes et de femmes capables de lui apporter le meilleur d’eux-mêmes car celui qui souffre, celui qui est exclus, celui qui est mal logé n’est ni de droite ni de gauche, il est avant tout quelqu’un qui a besoin qu’on s’occupe de lui et de ses problèmes. Et il est du DEVOIR de l’élu, qui a été élu uniquement pour cela, d’assumer cette responsabilité.
On doit pouvoir faire de la politique autrement. Mesdames les élues, messieurs les élus, Messieurs et Mesdames Lambda ont besoin de vous.

Jean Linon,
libre citoyen


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