“Munich”, entre fiction et réalité

2 mars 2006

En 1972, à Munich, un commando de l’organisation “Septembre noir” prend en otage 11 athlètes israéliens et réclame la libération de 200 prisonniers palestiniens incarcérés en Israël. Deux otages sont tués dès le début de l’opération. Le gouvernement israélien refuse toute négociation. Lorsque la police allemande donne l’assaut, c’est le massacre : les neuf autres otages sont abattus. Israël décide alors de se faire justice en éliminant 11 dirigeants palestiniens installés en Europe. C’est cette histoire vraie que narre le film de Steven Spielberg. On y voit le commando israélien supprimer des militants palestiniens dont la responsabilité dans le drame de Munich est hypothétique. Prolixe sur les techniques d’assassinat, le film suggère l’ambiguïté morale d’un contre-terrorisme qui ressemble beaucoup à ce qu’il prétend combattre. Il interroge aussi son efficacité politique, ces sanglantes représailles contribuant à relancer une guerre sans fin.

Mais le film décrit surtout les affres de la mauvaise conscience chez le héros du film, Avner Kauffmann, le chef du commando. Héros positif, celui-ci accomplit sa tâche mais ne cesse de s’interroger sur le sens de ses actes. L’un de ses hommes, lui, n’a pas d’états d’âmes : "seul le sang juif m’importe", déclare-t-il. Plusieurs de ses compagnons étant mystérieusement assassinés, Avner se sent traqué. Il doute de tout. Sa mère le conforte en lui rappelant que toute sa famille a péri dans l’Holocauste. Officier du Mossad, son supérieur hiérarchique l’invite à rentrer en Israël : il a mérité de la patrie. La scène finale laisse songeur : on y voit le héros faire l’amour avec sa compagne tout en se remémorant la scène de la prise d’otages de Munich. Triple réconciliation, en somme, qui semble balayer les états d’âme.

Bien sûr, ce film réalisé par un cinéaste juif américain reflète un point de vue : l’amour d’Israël y transpire à chaque instant. Les personnages israéliens y sont d’une profonde humanité qui appelle la sympathie. Loin d’invalider la légitimité de l’opération, l’interrogation morale semble au contraire la conforter : après tout, ces scrupules sont l’honneur d’Israël. Mais n’a-t-il pas le droit de se défendre ? Le choix du sujet permet d’accréditer la thèse selon laquelle la violence israélienne répond à la violence palestinienne. A la fin, on reste sur l’impression que toute cette opération, en fin de compte, était légitime. Du coup, on oublierait presque qu’il s’agit d’une fiction. Tiré d’un roman intitulé "Vengeance", le film de Spielberg réécrit l’histoire. Le point de vue palestinien est occulté, les personnages arabes sans épaisseur, comme déshumanisés. En voulant tuer Ali Hassan Salamé, le commando a abattu en Suède un garçon de café marocain qui avait le malheur de lui ressembler. Le film fait l’impasse sur cette bavure. Mensonge par omission ?

Bruno Guigue


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