Plutôt mauvais joueur, M. Lallemand

18 juillet 2005

(Page 11)

Pour prouver qu’il n’existe pas l’ombre d’une trace de conception trinitaire dans le corpus du Nouveau Testament, je pensais que mon contradicteur, Daniel Lallemand, allait enfin apporter des preuves indiscutables. Ou encore que les textes de Paul, de Jean ou de Matthieu, que j’ai cités, sont l’œuvre de faussaires. Rien de tout cela. Préférant la fuite en avant, il revient à mon tout premier texte pour dénicher, pense-t-il, certaines contradictions. Cependant, pour ne pas perdre le fil de la discussion, resituons le débat en cours.
Monsieur Lallemand, depuis le début de l’année, ne cesse de mettre en cause, comme non fondé dans les Écritures, ce que les chrétiens, toutes confessions confondues, considèrent comme le pivot de leur foi, à savoir : la conception trinitaire de Dieu. Et il va, parfois jusqu’à un certain mépris : "le Fils ne devait être divisé qu’au 2ème siècle", ironise-t-il. (“Témoignages”, 15/16 mai). Daniel Lallemand, comme tout un chacun, a parfaitement le droit de défendre sa thèse, concernant Dieu ou le Diable. Mais, lorsqu’il instrumentalise “Témoignages”, pour proposer, mois après mois, une certaine lecture des Évangiles, comme étant la seule possible, ça fait problème ! Une réaction s’imposait.
D’où mes modestes “réflexions sur la trinité” (“Témoignages”, 20/05)... Et la réponse de Daniel Lallemand, clamant haut et fort qu’il n’existe "aucune trace de la Saint Trinité dans les 27 livres du Nouveau Testament" (“Témoignages”, 3 mai). À cette date, il n’avait pas trouvé dans mon texte des "contradictions inextricables". Mais passons !

Un projet de disqualification

Les titres des articles de Daniel Lallemand sont significatifs de son projet : “Les Rameaux commémorent en fait un événement qui n’a pas pu avoir lieu”, “L’annonciation : c’est un destin terrestre que l’Ange Gabriel prédit à Jésus”, “Pentecôte : le souffle saint confisqué”... Et il parle de “la falsification du Notre Père”, de “la volonté de l’Église de s’assurer le contrôle du Saint-Esprit”..., tout en disqualifiant ceux et celles qui osent encore affirmer Dieu comme créateur du ciel et de la Terre. Contradictions inextricables entre : "croire en la véracité de la Bible et l’infinie bonté de Dieu", affirme-t-il péremptoirement. Toute autre lecture, considérée comme arbitraire, voir “dévoyée”, attire immédiatement sa réplique. À quoi joue Daniel Lallemand ? Je crois sincèrement que Daniel Lallemand se trompe tout simplement d’époque. Un comble pour quelqu’un qui n’arrête pas de nous parler d’anachronisme !

La position commune des biblistes

Daniel Lallemand voit des contradictions comme d’autres voient le Diable : partout ! Il paraît que je "possède la merveilleuse capacité de soutenir une thèse, puis d’en prendre le contre-pied", écrit Daniel Lallemand. Qu’en est-il exactement ? Dans ma première réponse, intitulée : “Figure trinitaire...”, je me suis permis d’affirmer, d’une part, que "si le terme trinité est absent de la Bible, la vérité qu’il exprime est en accord avec les textes bibliques" et d’autre part, que "la conception trinitaire formulée dans les catégories de la pensée grecque, objet de recherches difficiles, n’est qu’un approfondissement de la conception biblique de Dieu Père, Fils et Esprit" (“Témoignages” du 7 juin). Qu’y a-t-il de contradictoire là-dedans ? Cette position est d’ailleurs celle de la quasi-totalité des exégètes et historiens du Nouveau Testament.
Pour montrer, preuves à l’appui, le bien fondé de cette position, j’ai cité plus d’une dizaine de textes, allant de Paul à Jean en passant par Matthieu. Daniel Lallemand n’a retenu qu’un de ces textes, (MT 28, 19) et il s’y accroche désespérément... Les autres textes cohérents et convergents, très forts qui expriment implicitement la vérité de cette conception trinitaire de Dieu, entre autres : Col, 15-20 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 8, 58 et le Prologue, 1Jn, 5,20, sont passés tout bonnement à la trappe. Inexistants !
En beau joueur, Daniel Lallemand aurait dû, pour le moins, reconnaître qu’il existe bel et bien des dizaines de traces de cette conception trinitaire dans le Nouveau Testament et, avec Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, que "du prologue... à la conclusion de l’Évangile, en passant par le chapitre 8" - "Avant qu’Abraham fût, Je suis" (Jn 8, 58) -, le Jésus selon Jean n’apparaît plus seulement comme le messie attendu par Israël, mais comme celui qui est descendu des cieux, comme le Fils du Père, l’incarnation de Dieu" (1). Ou encore, avec un des meilleurs spécialistes de la pensée johannique, Raymond E. Brown : "Le Jésus de Jean partageait la gloire avec son Père avant même que le monde fût. Il est descendu du ciel sur cette terre, s’est fait chair, et a révélé au monde ce qu’il avait vu et entendu lorsqu’il était auprès du Père" (2) . Au lieu de rester dans le débat, Daniel Lallemand préfère la fuite en avant pour traquer mes supposées contradictions. Suivons-le !

Erreur de lecture

Daniel Lallemand voit des contradictions là où il n’y a que mauvaise lecture de sa part. Mon contradicteur s’installe dans “l’événement” au lieu de s’installer dans le texte. Il semble oublier qu’il est dans des écrits, et pas devant n’importe quels écrits. Les écrits évangéliques - seuls documents dont nous disposons pour nous approcher un peu du Jésus de l’Histoire - sont des témoignages de foi, à la lumière de Pâques. Les évangélistes, qui veulent être les "porteurs de la Bonne Nouvelle du Christ", ne cherchent pas à rapporter directement ce que Jésus a dit ou a fait, dans le cadre de sa vie terrestre. Mais bien plutôt : ce que la mémoire chrétienne a retenu et sélectionné de ce qui lui paraissait significatif dans la vie de son Seigneur. Et cela en fonction des besoins de leur communauté respective. En outre, ce sont des écrits, rédigés après Pâques et Pentecôte et après la prise de conscience de l’universalité du message chrétien, soit dans les années 70 à 95.

S’installant dans l’événement de “l’Annonciation” (Luc 1, 26-38), Daniel Lallemand écrit : "À l’époque reculée où l’ange Gabriel est apparu à Marie, l’Église n’existait pas... Dieu le Père était connu, mais le Fils n’était pas né. Quant au Saint-Esprit, personne n’en avait entendu parler...", (“Témoignages”, 6 avril 2005). Daniel Lallemand oublie qu’il est dans un livre rédigé dans les années 80-85, soit de nombreuses années après les événements racontés. Entre-temps : Jésus de Nazareth, Dieu l’a établi "Christ et Seigneur" ; l’Esprit Saint a été répandu sur les apôtres ; l’Église existe à travers de très nombreuses communautés qui célèbrent leur foi en Jésus, le Christ, le Sauveur.
C’est à cette lumière qu’il faut lire le récit de l’Annonciation, en le situant dans le récit de l’enfance (Luc1, 5 - 2, 52). Commentant ce récit, Charles Perrot, exégète bien connu, écrit : "Luc investit dans ces mots [ce récit] toute sa confession de foi en la divinité de Jésus" (3) . Ou encore : "Luc 1 - 2, est un prologue christologique, une confession de foi qui tire sa raison et sa force de l’événement pascal et projette au départ de la vie de Jésus une lumière totale sur son mystère" (4) .

C’est la même erreur de lecture que Daniel Lallemand fait à propos de la finale de Matthieu 28,19. Nous sommes dans les années 80-90... et les païens sont massivement dans l’Église. Les Chrétiens de la communauté de Matthieu voient en Jésus le "Serviteur de toutes les Nations" (Matthieu 12, 18-21). C’est à cette lumière et à celle des événements survenus depuis la découverte du tombeau vide jusqu’aux années 80-90 - Pâques, Pentecôte, Assemblée de Jérusalem (Ac 15), prédication aux non juifs (Ga 21-10 ; Ac 11, 6s) ... - qu’il faut lire ce texte de Matthieu et les autres textes du N. T. Et non pas à la lumière des directives d’avant Pâques, à savoir : "N’entrez pas chez les païens..." (Mt 10, 5-6...), comme le fait Daniel Lallemand. Regrettable confusion des plans. Je suis forcé de constater que la lecture que fait Daniel Lallemand des textes évangéliques est anachronique. Quel beau retournement de situation, n’est-ce pas Monsieur Lallemand !

C’est vrai, ce n’est pas évident de détecter dans les textes évangéliques ce qui appartient à l’histoire du temps de Jésus, et ce qui relève de sa relecture par les diverses communautés primitives, puis lors de la rédaction finale des textes du Nouveau Testament. Ma lecture relève de ce va et vient entre ces deux réalités. Y voir des contradictions relève d’une pensée non dialectique. Il manque à Daniel Lallemand, me semble-t-il, une “logique trinitaire” (5) . Et où !

Jésus, un nationaliste ? Quelle blague ! Le royaume qu’il annonce est, au contraire, dépouillé de ses aspects nationalistes : "Beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux, tandis que les sujets du Royaume seront jetés dehors, dans les ténèbres..." (Matthieu 8, 11-12).

Il ne suffit donc pas de lire “les yeux ouverts” : il faut des instruments de lecture, antérieurs à la lecture elle-même. Ce sera mon denier mot !

Reynolds Michel

(1) Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, “Jésus après Jésus”, Seuil, 2004, p.32. La série télévisée “Corpus Christi” est leur œuvre. Ils l’ont réalisée à partir d’entretiens qu’ils ont eus des chercheurs, historiens, exégètes, linguistes de différents pays, de confessions et de religions différentes.

(2) Raymond E. Brown, “l’Église héritée des apôtres”, Edition du Cerf, 1987, p. 139 ; voir également “Le Monde” du 21 juillet 2000 et du 22 avril 2005 ;

(3) Charles Perrot, “Les récits de l’enfance de Jésus”, “Cahiers Évangile”, n°18, Cerf, p. 45.

(4) Ibid, p. 35.

(5) Dany-Robert Dufour, “Les mystères de la trinité”, Gallimard, 1990.


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