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2 janvier 2024, par
Nous apprenons que la SAPMER risque d’être vendue. C’est un opérateur historique de la pêche en haute mer, fleuron du groupe De Chateauvieux. Quelles que soient les motivations et les conditions de la cession, c’est un épisode supplémentaire de la crise profonde qui secoue La Réunion. La vente de l’ancien siège de la Banque de La Réunion est une autre illustration de la nature de cette catastrophe. Nous assistons à la faillite du capitalisme historique réunionnais.
Après l’Abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848, l’île entre dans la période du « capitalisme pré-contraint » selon les mots du professeur Ho Hai-Guang qui a déjà publié 4 tomes sur l’Histoire économique de La Réunion. Nous savons que les propriétaires ont perçu 750 Francs par esclave libéré, ce qui fait un magot de 46 millions pour les 62 000 du contingent. Les affranchis, eux, n’auront ni terre, ni argent, ni toit. Seule, une maigre pitance comme kit de survie.
Ainsi au moment du changement historique, l’Abolition a renforcé la position de classe des dominants-possédants. Rarement, une classe sociale si peu nombreuse n’a eu des conditions de développement aussi avantageuses. L’économie regorge d’argent. Les terres vierges de la forêt tropicale n’ont pas encore de limites.
Joseph Hubert de-Lisle fraîchement débarqué comme gouverneur perçoit l’intérêt de mobiliser ces atouts. Il arrive au Barachois en août 1852 (4 ans après l’abolition). Le 4 juillet 1853, il a déjà créé la Banque de La Réunion à Saint-Denis et une Caisse d’Épargne. En réalité, l’argent placé est le fruit de l’accumulation du travail forcé des esclaves et des affranchis. Il sera un gouverneur très volontariste. En particulier, on lui doit la création d’une route ceinture, vers 800 mètres d’altitude qui porte son nom. L’objectif vise l’exploitation de la nature et la production des capitaux. La période économique est florissante et les investissements ne manquent pas.
Cette situation générale va faciliter l’accord, en 1875, du financement, par action, du Chemin de fer Saint-Benoît-Saint-Pierre (1876-1882) et du creusement d’un Port en eau profonde (1876-1884). Ce sont 2 infrastructures de classe internationale et d’ingénierie d’exception. Il faudra même importer de la main d’œuvre par milliers.
Ainsi, on peut dire qu’à la fin du séjour de Hubert de Lisle, en 1858, les capitalistes réunionnais avaient trouvé la parade à la nouvelle géopolitique occasionnée par le creusement du Canal de Suez dont les travaux ont débuté en 1859. Tout se passe comme s’ils avaient largement anticipé l’écroulement de l’ancienne route maritime qui passait par notre île. Ils ont investi massivement dans la production agricole. Ils ont amélioré la collecte par des chemins ruraux et le transport de la marchandise de l’Est au Sud par un outil ferroviaire. Ils ont modernisé le transbordement naval.
Ce capitalisme de production est mort avec « l’ Accord scélérat de 1969 », signé entre la Fédécanne et les usiniers. Cet accord introduit le capitalisme ultralibéral et la division du travail, une idéologie importée par une nouvelle génération de gros propriétaires. Ils ont créé le capitalisme foncier, industriel et financier. Ils ont vendu le capital agricole. Du jour au lendemain, le planteur de canne n’était plus propriétaire des produits valorisés. Il devient un simple fournisseur de cannes, la matière première au début de la chaîne de production des valeurs. Il est payé en fonction de la vente d’un seul produit industriel : le sucre. Quant à l’industriel, il capitalise tous les produits transformés qui servent de base au développement de nouvelles filières rentables. Le foncier agricole est vendu aux planteurs, comme le bout de gras, sans qu’ils ne perçoivent le piège. Nouveaux capitalistes agricoles et propriétaires du foncier, ils sont interdits d’en user pour diversifier les sources de profits. Certains réussiront à déclasser leurs terrains en offrant des contreparties. Le PCR et les planteurs éclairés ont qualifié cet accord de 1969 de « scélérat » car il était visible qu’un seul acteur tirait de superbes profits de l’accumulation du capital primitif, historique.
Les ultra-libéraux réunionnais ont organisé la concentration des usines, la recherche variétale et culturale de la canne, la valorisation immobilière des terres non agricoles, le commerce de la grande distribution, la finance, le développement off-shore jusqu’à l’investissement en bourse. Leur poids dans l’économie vont inspirer la politique de destruction du rail au profit de l’automobile. Ils seront les adeptes de l’intégration de l’économie réunionnaise dans le capitalisme extérieur où la règle est la concurrence, libre et non faussée. Ils ont mis fin au capitalisme historique fondé sur l’association et le partage des rôles le long de la chaîne de valorisation. Les industriels réunionnais produisent. Les industriels français commercialisent.
La nouvelle politique économique fut le transfert de la richesse produite par les Réunionnais vers des capitalistes dont les sièges sociaux ne sont pas à La Réunion. Ce qui est vrai pour les médicaments et l’énergie saute aux yeux pour la finance, les assurances et la grande distribution. C’est même scandaleux avec TEREOS qui a pris le contrôle du capital sucrier. La faillite du capitalisme réunionnais arrive au moment où la productivité par actif employé à La Réunion est très élevée, notamment dans les banques. En résumé, l’argent coule à flot mais ne reste pas. Seulement, en 2021, le chiffre d’affaires frôle les 29 milliards d’euros !
Que sont-ils devenus les pourfendeurs du PCR, ces adeptes de l’accord scélérat de 1969 et du système d’intégration dans des normes fixées à 10 000 Km de chez nous ? Ils ont été incapables de sauver la Banque de La Réunion, fruit de la capitalisation de la sueur des esclaves et des travailleurs exploités, ils ont laissé effacer le nom de la banque historique et brader son siège mythique en marbre, à l’angle des rues Jean Chatel et Labourdonnais. Cette fois, vont-ils se mobiliser pour sauver la SAPMER et relancer la filière pêche réunionnaise ? Il y a bien une population de 900 000 bouches à nourrir.
Ary Yee-Chong-Tchi-Kan
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