Qui c’est le c.o.u.y.o.n ?

10 avril 2006

Ça n’a pas manqué !
Lorsqu’il y a un peu moins d’un demi-siècle il s’est agi de construire la route en corniche, l’État a fait ce qu’il voulait, ce qui allait dans le sens de ses intérêts. Pour ce faire, il a fait donner de ses techniciens. Ceux d’ici, de la DDE ; ceux qu’il a fait venir de France en renfort.
Certes, le Conseil général de l’époque a été consulté. Mais que pouvaient-ils les pauvres, préoccupés qu’ils étaient par leurs quartiers, leurs “bouts de chemin”, leurs “ponts” qui attendaient la rivière, leurs “bons d’AMG” plus porteurs électoralement ? Tenus par la patte pour la majorité d’entre eux, ils devaient en outre affronter la ribambelle de techniciens de haut vol, bardés de diplômes, censés détenir “la” connaissance et qui, surtout, avaient réponse à tout et même davantage encore. (1)
Démocratie formelle. Démocratie d’apparat. Parce qu’il fallait bien consulter l’assemblée départementale. Mais les carottes étaient cuites bien avant.
Les choses ne se passaient pas pour autant et toujours en douceur ; certains, en séance, se rebellaient... pour mieux voter après !
Jeune journaliste, j’ai assisté à un de ces débats du Conseil général, au Palais Rontaunay. Il s’agissait de décider du tracé actuel de la route. Et je vois encore le président Lagourgue, un peu désemparé devant la bronca de ses collègues de la majorité, et leur disant : "Mais, mes chers collègues, si nous ne pouvons plus faire confiance aux techniciens, à qui pourra-t-on se fier ?...". Ainsi fut approuvée la dernière mouture. Moins les communistes, bien-sûr. On en voit le résultat, plusieurs dizaines d’années après.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, plus démocrate que l’État tu meurs ! Et faisant dans la démocratie participative et de proximité, s’il vous plaît !
C’est aux Réunionnais - Conseil régional, Conseil général, maires, associations et bientôt pourquoi pas l’ensemble des Réunionnais par référendum - de dire au ministre des Transports ce qu’il doit faire et ce qu’il faut faire ! Comme si, lui, ne servait à rien !
Ce serait donc aux victimes de dire comment ils veulent être encore plus victimes !
Si elles disent qu’il faut rouvrir la route, le prochain accident sera mis à leur compte ; si elles disent de la maintenir fermée, ce sont elles qui décident d’engorger La Réunion !
Si elles disent qu’il faut construire autre chose, ce sera à elles d’en payer le prix ; si elles décident de ne rien faire, ce sera à elles d’en supporter les conséquences ! Dans tous les cas, on est gros Jean comme devant ! Pire que la roulette russe : à tous les coups on perd !
Ce n’est plus une patate chaude que l’État et le ministre de l’Équipement mettent dans la main des Réunionnais, mais un véritable bâton de poulailler !
C’est vrai qu’ils sont incités dans cette voie par tous ceux là qui, sur place, sont en train d’en faire une affaire politicienne, ainsi que par tous ces connaisseurs et autres saméleurs (2) qui sont légion et se montrent aussi performants que les techniciens de l’époque.
Mais cela dit, qui, ici, va prendre à pleine main le bâton de poulailler que nous tendent le ministre Perben et le gouvernement ?
Irénée Accot, qui participait aux débats du Conseil général d’alors et n’était jamais en manque de verve, usait d’une expression, notamment lorsqu’on discutait de la canne et du sucre. "Vous nous demandez d’approuver cette décision", disait-il s’adressant à “l’administration” ; "mais quand les planteurs vont descendre dans le chemin avec leurs grands couteaux, vous ne serez plus là, vous... Mais nous ?". Cela ne l’a pas empêché d’approuver le dernier tracé, ainsi que les premiers d’ailleurs. Mais il n’est plus là, lui non plus.
Alors, qui c’est le c.o.u.y.o.n qui, aujourd’hui à La Réunion, après cette expérience, va dire : “Si on ne peut plus faire confiance aux ministres et à l’État, à qui pourra-t-on se fier ?...” Pour tout le monde, il aura tué couyon pou prendre la place !

Georges-Marie Lépinay

(1) Cela me rappelle cette histoire qui, dit-on, se passe en Corse. Deux touristes, continentaux, après avoir fait des kilomètres d’une route de montagne sinueuse à souhait, rencontrent enfin un vieux berger. Ils l’abordent et lui demandent : "Mais comment donc avez-vous tracé ces routes ?". "Rien de plus simple, dit le vieil homme. Il suffisait de prendre un âne et de le faire avancer. Ainsi on avait le tracé de la route". Les 2 touristes étaient estomaqués. Jusqu’au moment où l’un d’eux se hasarda : "Mais cela fait longtemps qu’il n’y a plus d’âne en Corse. Alors comment faites-vous ?". "Bin oui, rétorqua le vieil homme. Maintenant on a les ingénieurs des travaux publics".
Aujourd’hui ce ne sont pas les ingénieurs et autres connaisseurs qui nous manquent. Mais de toutes les solutions, c’est celle de Thierry Jardinot que je préfère : "Na ka tire la mer par en bas et mèt par en l’air, et fait passe la route par en bas" : il suffisait d’y penser.

(2) Pour ceux qui ne connaissent pas ce terme, Thierry Jardinot et Marie Alice Sinaman en utilisent un autre pour dire la même chose : les "mêles en c...hoses"


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