Qui est pauvre ?

11 mars 2006

J’entends encore la question que certaines personnes me posaient du temps de mon adolescence, quand j’évoquais devant elles la situation difficile de quelques-uns des plus déshérités de mon quartier. Et je me voyais vraiment désolé de ne pouvoir arriver à les convaincre. Grâce à la télévision, les pauvres ont fait leur entrée depuis dans nos maisons, mais sans nous causer finalement trop de gêne, tant leur présence a été banalisée sous le flot des images et dans le magma des informations. Et puis, on les a relégués à l’arrière-plan, bien loin à l’autre bout du monde. Pas à La Réunion évidemment où, selon toute apparence, ils ont disparu ou presque. Pas aux Comores non plus, ni à Mada, car en raison de la proximité de leurs pays, ils pourraient venir un de ces quatre frapper à notre porte ! Et encore moins en France métropolitaine. Car la France, c’est bien connu, est un pays riche où les pauvres n’existent plus.

Mais voilà, il y eut Jacques Chirac qui, lors de sa campagne pour la Présidentielle de 1996, mit les pieds dans les plats, avec un mot qui depuis a fait fortune : "la fracture sociale" ; laquelle osait-il dire, plaçait la société française "à la merci d’une explosion sociale qui (pouvait) intervenir sans délai.". Que dirait-il aujourd’hui, dix ans après, en voyant les derniers chiffres publiés par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale ? Car le tableau dressé est encore plus alarmant : en 2003, le nombre de pauvres qui vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, fixé en France à 645 euros par mois pour une personne seule, atteignait déjà 3 millions 694 mille. 7 millions, c’est-à-dire près du double, en prenant le critère retenu par l’Union européenne. Le mouvement est reparti à la hausse, "sous l’effet de la dégradation de la conjoncture économique" constate l’Observatoire qui a toutes les raisons de s’inquiéter de la "grande précarité d’une large partie de la population pour qui le moindre incident peut signifier un basculement dans une situation de pauvreté". Ne parlons pas de La Réunion où, avec 774 euros par mois pour une personne seule selon le critère européen, une famille sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Si l’on se réfère à ces deux principaux indicateurs que sont le RMI, accordé à un travailleur réunionnais sur cinq, et la CMU, dont relèvent 43% de la population contre 7% en France, "le contraste avec la métropole est frappant" et "ce contraste forme lui-même un ensemble cohérent d’observations caractérisant une pauvreté plus intense, mais aussi plus diffuse dans la population, globalement plus intégrée à la société". Voilà qui répond clairement et directement à la question posée autrefois par mes interlocuteurs ; lesquels au fond n’ont pas changé puisqu’ils me répètent toujours : "Mais qui est pauvre ?"

Georges Benne


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