Recherche sur le chik : des zones d’ombre

7 mars 2006

L’une des annonces faites par Dominique de Villepin lors de son récent séjour à La Réunion a été l’octroi de 9 millions de crédits à la recherche sur le chikungunya. Certains y voient une marque de confiance en les chercheurs installés dans les deux groupes hospitaliers réunionnais qui seraient les principaux bénéficiaires de ces crédits.
Mais, à regarder de plus près de nombreuses interrogations demeurent. La première porte sur le champ même des recherches ouvertes.

Dans son discours du dimanche 26 février, le Premier ministre fixait 5 objectifs à cette recherche : prise en charge de la douleur, recherche sur les médicaments, connaissance du virus, étude d’un vaccin et préservation de l’environnement. Pour sa part , le CHD de Bellepierre a retenu au titre de ses programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), 3 axes de recherches : la transmission materno-fœtale, les facteurs de la maladie et des études de séroprévalence. Ces axes de recherche sont-ils compris dans les objectifs fixés par le Premier ministre ou les débordent-ils ? Les citoyens ordinaires que nous sommes ont bien du mal à savoir de quoi il en est exactement.

Les recherches prévues seront-elles limitées au seul chikungunya ou à toutes maladies dites émergentes comme cela est parfois dit ?
Les crédits débloqués sont-ils destinés aux seuls organismes publics comme le laisse entendre le discours du Premier ministre ou bien seront—ils étendus aux industries pharmaceutiques dont les centres de recherche sont sollicités ?

S’agira-t-il de financer une structure de recherche franco-française ou encore “un centre de recherches et de veille sanitaire pour toute la zone de l’océan Indien” comme on le déclare ?
Les 9 millions de crédits alloués suffiront-ils pour faire face à toutes les demandes, même s’il ne s’agit que d’une première enveloppe ?

Au-delà de ces questions auxquelles des réponses seront sans doute apportées par le comité scientifique permanent chargé de coordonner les travaux, l’octroi de 9 millions de crédits pour la recherche apparaît comme une petite bouffée d’oxygène pour le monde de la recherche en France.

En effet, depuis 2 ans, les chercheurs français dénoncent la faiblesse des moyens mis à leur disposition par le gouvernement et son désengagement progressif dans ce secteur. Le 28 février dernier, plusieurs milliers d’entre eux manifestaient dans plusieurs grandes villes françaises à la veille du vote par l’Assemblée nationale, le mardi 7, d’une loi proposant un "pacte pour la recherche" jugé insuffisant. Pourtant, le 6 janvier 2004, après une longue mobilisation des chercheurs, Jacques Chirac avait annoncé sa volonté de faire de la recherche "une priorité nationale". Avant même le vote de la loi, des nouvelles structures ont été mises en place pour distribuer les crédits alloués - l’Agence nationale de la recherche (ANR), créée en février 2005 et dôtée de 350 millions de fonds - et pour évaluer, avant financement, les travaux effectués, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Mais le fonctionnement très centralisé, "par le haut" de ces organismes est contesté par le corps des chercheurs. Contrairement à ce qui se passe dans tous les autres pays, ce sont les services ministériels qui décident des domaines qui mériteront d’être financés. Les organismes de recherche et les universités verront leurs moyens stagner. Le gouvernement cherche à étouffer les organismes, et en particulier le CNRS qu’il considère comme trop indépendant, afin de pouvoir piloter dans le détail la politique scientifique. Les universités, secteur-clé de la recherche, sont délaissées. Par contre, des moyens supplémentaires seront mis à la disposition du secteur privé.

Ces expériences, toutes très récentes, nous laissent songeurs quant au futur de la recherche sur le chikungunya. Un premier bilan sur le pôle de compétitivité dans l’agriculture en milieu tropical installé récemment à La Réunion nous éclairera sans doute quant aux moyens réels mis à la disposition de ce genre de structures par l’État.

Nous noterons que des moyens publics sont mis dans la recherche sur le chikungunya tandis que certaines maladies très répandues dans les pays sous-développés - comme le paludisme ou la malaria - restent encore très peu étudiées Enfin, dans la mesure où des résultats probants sortiraient de ce recherches, notamment en termes de thérapie et de vaccin, qui les exploiteraient sur le plan de la commercialisation ? Est-on assuré que les résultats de cette recherche financée à partir de fonds publics serviront à tout le monde ? De nombreux pays sous-développés n’ont pas les moyens de soigner leurs malades atteints du SIDA parce que les laboratoires occidentaux ne les autorisent pas à utiliser leurs brevets pour fabriquer des produits de soin à bon marché. Cela donne à réfléchir. Or, jusqu’ici aucune recherche n’a été entreprise à propos du chikungunya parce que cette maladie frappant des pays pauvres était jugée peu rentable par les grands laboratoires. La situation réunionnaise a-t-elle rendu la recherche sur le chikungunya et la mise au point de thérapies ou de vaccins rentables ?

Jacques Modeste


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus