Taisez-vous Vira !

19 avril 2003

Le débat télévisé sur Télé-Réunion, le soir de la grande manif des personnels enseignants, a laissé un goût amer dans la bouche de bon nombre de téléspectateurs. Je suis de ceux-là. Comme à son habitude, M. Virapoullé a été - malgré sa promesse de calme et de sérieux, au début du débat - violent et excessif. Or tout ce qui est excessif est insignifiant. Avec sa verve coutumière, il s’est adressé aux parents pour leur dire, en quelques chiffres, que le système éducatif à La Réunion est un échec et que le projet gouvernemental va dans le bon sens.

  1. Selon lui, les enseignants ne font pas leur travail ; il faut donc que le transfert aux collectivités locales de certaines catégories de personnels se fasse pour que cela aille mieux. Deux chiffres ont retenu mon attention : 80% de 20% de réussite au baccalauréat, dixit M. Virapoullé.
  2. Les autres élèves (les 80% restants) ont échoué ! C’est faire fi des nombreux élèves admis en Lycée Professionnel et qui réussissent souvent à décrocher qui un CAP, qui un BEP, et les plus chanceux - ou courageux - un baccalauréat professionnel. Ceux-là ont-ils échoué dans la vie, M. Virapoullé ? Pour l’anecdote, un ancien élève devenu plombier/électricien m’a déclaré un jour son salaire : il était presque deux fois plus élevé que celui d’un proviseur de 3ème catégorie, 1ère classe ! Les spécialistes comprendront.

L’ancien chef d’établissement que je suis ne peut se taire devant la mauvaise foi de M. Virapoullé destinée à nuire à l’image du prof. (…) Les chiffres qu’il a avancés sont hélas vrais ou presque. Toutefois il convient de remettre les pendules à l’heure, dans un souci de vérité. Dans les années 56/57, le collège H. Hoarau de La Rivière - ou plutôt l’ancien Cours Complémentaire - "envoyait" (on ne parlait pas d’orientation à cette époque) au seul lycée de l’île, le Lycée Leconte de Lisle, 3 ou 4 élèves, parfois 5, chaque année. Grosso-modo, il en allait de même pour les quelques Cours Complémentaires du Département.
Dans les années 60, le jeune professeur que j’étais a eu l’honneur de remplacer le Directeur à la Commission dite d’admission en seconde, au lycée de Saint-Denis. Alors que j’essayais de proposer l’admission d’une élève qui avait 12 de moyenne générale, le Proviseur potentat, président de la Commission, m’a vertement rappelé à l’ordre de sa voix nasillarde en disant cette phrase que j’entends encore : « vous oubliez, jeune homme, que le lycée n’est pas fait pour n’importe qui ». Ce "n’importe qui" venait de la campagne, c’est vrai, et n’avait "que" 12 de moyenne ! Le Lycée était alors réservé aux petits bourgeois qui avaient la chance d’être inscrits à ce qu’on appelait à cette époque "le petit Lycée", c’est à dire le cycle primaire annexé au Lycée. Les quelques classes de secondes étaient composées, pour la plupart, d’élèves de Saint-Denis issus de familles favorisées. Les élèves "des quartiers" étaient en majorité en "moderne prime". On les reconnaissait facilement car ils étaient "mal fagotés" dans leur tenue étriquée. Ils étaient souvent la risée des autres.
Une trentaine d’années plus tard, nous sommes en 96/97. Je retrouve avec une joie infinie mon ancienne école devenue Collège, en temps que Principal. Je découvre avec stupéfaction que l’établissement oriente une centaine d’élèves en classe de seconde, soit 25 à 30 fois plus qu’en 56/57. Avec le collège voisin, celui du Ruisseau, il fait le plein des classes de seconde du Lycée du secteur. Les élèves ne vont plus à Saint-Denis mais au lycée de La Rivière.
Ce bond extraordinaire constaté à La Rivière n’a rien d’exceptionnel. Il s’est produit dans tous les collèges de l’île (une quarantaine à cette époque), y compris à Saint-André. Ainsi donc, en trente, quarante ans, le nombre d’élèves admis au Lycée a été multiplié par 25 ou 30. Chaque commune - ou presque - a "son" lycée. La seule commune de Saint-Louis en compte quatre : 2 d’enseignement général et technologique, 2 d’enseignement professionnel.
Les résultats au baccalauréat ont connu la même progression. L’année dernière, plus de 6.000 jeunes bacheliers ont quitté le lycée pour rejoindre les bancs de l’Université, pour la plupart. Il est vrai que certains n’y ont pas leur place, ce qui explique le taux d’échec au DEUG ! Mais aujourd’hui, rares sont les familles dans lesquelles il n’y a pas un ou deux bacheliers. Les jeunes parlent de plus en plus de licence ou de maîtrise. Les agrégations et autres doctorats ne sont plus rarissimes. Bref la réussite scolaire n’est plus l’affaire de quelques familles privilégiées, partout dans l’île, y compris à Saint-André !
Et on parle d’échec du système éducatif ! Je crie haut et fort que c’est faux. Loin d’être un échec, le système éducatif à La Réunion est une réussite Combien de régions métropolitaines peuvent se vanter d’avoir connu de tels progrès en si peu de temps ! Aucune !
L’explication en est toute simple : aux efforts considérables faits par les deux collectivités (…) pour la construction des bâtiments (collèges et lycées), s’ajoute le travail colossal réalisé par les enseignants et les chefs d’établissements. Certes, il y a des fumistes, comme dans tous les secteurs, y compris au Parlement, mais dans leur immense majorité les enseignants font un travail exceptionnel.
Il y a encore beaucoup à faire, il est vrai, pour qu’il y ait moins d’abandons en cours de scolarité ! Mais que peuvent les enseignants face à tant d’inégalités dans la société réunionnaise ? Que peuvent faire les enseignants face à tant de violence dans les familles, dans la rue, à la télé, dans les établissements scolaires ? Que peuvent les enseignants face à des enfants qui arrivent en retard au Collège parce que leurs parents dorment encore à 8 heures et qu’ils n’ont pas réveillé leurs chérubins qui ont regardé la télé (et quelle télé) toute la nuit ? Que peuvent les enseignants face à ces parents qui "gardent les enfants à la maison" deux jours avant le mariage du cousin et huit jours après pour digérer le "rogaton" ?
Que peuvent les enseignants face à ces parents (…) qui envoient leurs enfants "en métropole" quinze jours avant les vacances pour rentrer une semaine après la rentrée ? Que peuvent les enseignants pour des enfants qui se lèvent à cinq heures du matin pour rentrer chez eux, le soir, après dix huit heures ? Que peuvent enfin les enseignants et les chefs d’établissement face à des parents qui refusent d’assister aux rencontres parents/professeurs organisées pour eux (à peine 25 à 30% de participants… et on ne touche pas ceux qu’il faudrait voir). (…)
Les personnels de l’éducation nationale ont eu raison de manifester en grand nombre le mardi 15 avril. J’étais avec eux, par solidarité mais aussi et surtout pour défendre l’avenir de mes petits enfants. (…) Les personnels de l’Éducation nationale demandent peu de choses. Ils demandent un peu plus de respect et de considération et surtout davantage de moyens en profs et en ATOS pour aider les enfants qui ont des difficultés. C’est à ce prix que les taux de réussite passeront de 80% de 20% à 80%… de 100%.
Vive l’Éducation nationale. Vive l’École de la République. À bas tous les faux-culs.


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