Il est une grande et belle idée qui est sur la mauvaise pente. Nous l’appellerons le "transport ferré" pour respecter une certaine neutralité sémantique. À juste titre, certains de nos édiles ont commencé depuis quelques années à être sensibles aux alertes relayées par les réseaux techniques, politiques et même par des réactions de citoyens. Notre île est petite, la politique d’aménagement du territoire est balbutiante et tout orientée vers la spéculation foncière, les réseaux routiers dévorent l’espace, mais sont néanmoins insuffisants devant la demande de trafic, le nombre de véhicules s’emballe tout en restant inférieur à la moyenne nationale et la population doit encore croître d’un bon tiers avant une hypothétique stabilisation. Et les bouchons s’allongent aux entrées des villes comme à leur périphérie !
Nous voilà donc avec un projet de "tram-train". On y a cru. La version péï du tram-train serait un tramway circulant dans les rues étroites du centre de Saint-Denis (à 30km/h, avec des carrefours à niveau), qui pousserait deux excroissances vers l’Est et vers l’Ouest !
Pour faire passer la pilule, on a prétendu que l’engin serait doté de performances tel qu’il pourrait foncer comme un bolide entre les villes, grimper des rampes comme un cabri tout en étant "confortable", mais on n’a pas encore parlé de l’obligation de la ceinture de sécurité à bord, indispensable pour que les passagers survivent à un freinage d’urgence en ville pour éviter un piéton ou un véhicule imprudemment coincé sur un passage à niveau. On a aussi prétendu qu’il pourrait transporter des marchandises, voire du kérosène... en pleine ville !
Pourquoi est-ce qu’on ne nous dit pas clairement ce qu’il en est ? Le projet semble actuellement condamné à n’être qu’un simple tramway avec une antenne vers l’Ouest pour sécuriser la liaison et bénéficier ainsi de financements européens mais aussi nationaux, ces derniers qui, grâce au gouvernement Raffarin, n’existent plus pour les tramways et ne subsistent que précairement pour les trains régionaux. Le projet est aussi condamné à en rester là à cause du financement qui est proposé par un "partenariat public-privé". Mais en réalité, ce n’est qu’un nouveau genre de hold-up sur nos portefeuilles, où l’on charge une entreprise privée d’être à la fois la banque, le maître d’œuvre, le constructeur et l’exploitant d’un service public. Contrairement à ce qui est dit, les actionnaires de l’entreprise privée n’investissent pas un centime de leur propre argent. Avec la garantie publique, ils empruntent à une banque "amie", sans aucun autre risque pour eux que de faire des superbénéfices (les bénéfices "normaux" sont également garantis par le contrat, tout comme un chiffre d’affaires minimal), et tous les frais financiers sont à la charge, soit du citoyen voyageur par le prix de son billet, soit du citoyen contribuable local et régional par ses impôts quand il faudra combler les pertes de la société "concessionnaire", le tout coûtant bien plus cher que si la collectivité empruntait directement.

Il est évident que la multinationale qui va s’intéresser au "tram-train" aura fait ses comptes et limitera son engagement au tronçon "rentable", c’est-à-dire celui générant le plus de trafic avec le moins d’investissement et de frais de fonctionnement, et avec des subventions supportables. On comprend mieux, dès lors, la multiplication des stations, le passage dans le TCSP et le tracé torturé qui aurait fait rigoler les concepteurs du "ti-train lontan" : ce projet c’est un simple tramway, avec 2/3 de places debout, fait pour régler certains problèmes de transport dans l’agglomération de Saint-Denis, mais en aucun cas à l’échelle de La Réunion. S’il en reste là, il continuera à aggraver pour des décennies la concentration sur le chef-lieu, alors que tout (géographie, prix de l’énergie, pollution, etc...) impose de réduire les besoins de déplacement mécanisés individuels qui peuvent l’être ou de permettre d’utiliser des moyens collectifs, économes à longue distance.

Si notre analyse n’est pas la bonne, si le projet de la Région n’est pas celui que nous venons de décrire, alors qu’on nous dise tout de suite comment on pourra ultérieurement, sans gaspillage, utiliser les infrastructures actuellement prévues, pour faire circuler un vrai train régional mettant Saint-Pierre à moins de 1h30 de Saint-André et l’Hermitage à moins de 1h15 de Bras-Panon, et libérant les routes d’un maximum de camions surchargés et d’automobiles quasi-vides ?

Les Verts,
Groupe Local Nord-Est