Un travail de négation de l’Histoire du peuple réunionnais

5 avril 2003

L’Histoire de La Réunion est pleine de dettes non réglées, la plus lourde et la plus visible étant celle de la traite et de l’esclavage. Des fantômes errent sans cesse et hantent les lieux où la mémoire se perd, ces lieux où l’on fait en sorte que la mémoire se perde et, avec elle, l’Histoire, la parole, les désirs, les rêves des femmes et des hommes de ce pays. Les tentatives d’effacement de la mémoire et des cultures non conformes à l’idéologie dominante ont été une constante du colonialisme. L’une des pratiques les plus efficaces étant le recouvrement d’un nom de lieu par un autre plus "politiquement correct", c’est à dire servant les intérêts objectifs du travail d’aliénation au sens premier du terme : rendre l’humain étranger à soi-même sur le lieu même qui est pourtant le sien ; le rendre étranger à son lieu propre.
Le député-maire du Tampon, étrange héritier des pratiques de ceux qui ont exploité les ancêtres de la plupart des Réunionnais (esclaves, engagés, prolétariat agricole et urbain, petits planteurs, etc.) a donc décidé de débaptiser La Plaine des Cafres. Puisque ce n’est pas le mot "Plaine" qui disparaît dans ce tour de passe-passe, force est donc de constater que c’est le mot "Cafres" qui lui pose problème. À lui, à ses électeurs, ou à ses maîtres. Vous avez dit révisionnisme ? Vous avez dit négationnisme ?
Cette proposition du député-maire du Tampon est une insulte au peuple réunionnais tout entier. Insulte qui se situe dans la même logique que celle du député-maire de Saint-Denis, qui nous a récemment transformé de manière très officielle en "population".
Ce qui se met en place ici et là est un travail de négation de l’Histoire du peuple réunionnais, de ses luttes, de ses résistances et de certaines de ses victoires. Qu’est-ce qui gêne donc tant dans la référence au marronnage (car c’est bien de cela qu’il s’agit ici et qui est à l’œuvre dans ce toponyme que le député-maire du Tampon veut rendre imprononçable, innommable), sinon ce rappel constant que des luttes réelles ont eu lieu sur cette terre, que les luttes sont toujours possibles et que certaines peuvent être victorieuses ?

Au-delà du nécessaire devoir de mémoire, s’opposer au projet du député-maire du Tampon revient à réaffirmer sans cesse que les femmes et les hommes de ce pays peuvent être sujets dans leur propre Histoire et qu’en cela, ils sont héritiers des luttes de celles et de ceux qui les ont précédés.
Le fantasme du député-maire est de transformer la Plaine des Cafres en Plaine des Volcans. Les volontés de puissance ne se préoccupent évidemment guère de la géographie qui nous enseigne que les volcans en question seraient plutôt sur le territoire des communes de Saint-Philippe et de Sainte-Rose. À quoi bon se préoccuper du réel quand on rêve de faire de ce pays et de ses habitants un espace virtuel (la fameuse "île à grand spectacle") ?
Mais celui-ci fait toujours retour de manière inattendue. De la même façon que les dettes non réglées de l’Histoire finissent souvent par des banqueroutes, même si on essaie de les rembourser en fausse monnaie ou, pire les transformer en créances. Étrangement, le déni du marronnage fait retour sous forme de… volcan.
Le député-maire du Tampon est si peu au courant des légendes de son propre pays qu’il ne sait pas que, dans la tradition orale réunionnaise, le volcan est précisément le lieu ou l’esclavagiste exemplaire, Mme Desbassyns, subit son châtiment éternel, fouettée nuit et jour par ses anciens esclaves …cafres. L’ultra chrétien conservateur qu’est le député-maire du Tampon ne sait peut-être pas non plus que le volcan est dans l’imaginaire chrétien de ce pays le territoire du diable … noir, bien sûr.

Soyons sérieux. Il s’agit aussi d’autre chose. Le député-maire du Tampon est un chef d’entreprise prospère, zélateur infatigable du libéralisme économique (nom politiquement correct donné au capitalisme sans foi ni loi) et de la mondialisation néo-libérale, en particulier dans sa version océan Indien. Il nous est dit, de manière fort cynique, que ce changement programmé de nom s’inscrit dans une logique de développement du tourisme, à quoi cela apportera une valeur ajoutée, une plus-value.
Les logiques du capital n’ont que faire des cultures, des histoires, des désirs, des rêves, des vies réelles des personnes réelles ; les logiques du capital ne connaissent que le marché, les consommateurs, les marchandises, les fausses vies. Dans cette perspective, les noms ne sont plus que des éléments d’une stratégie de vente de l’invendable ; des étiquettes qui prennent la place du produit et signifient à sa place.
Le député-maire du Tampon est négateur de l’Histoire parce qu’il est partisan de la mondialisation libérale. Les noms de lieu ne sont plus pour lui que des marchandises, au même titre que ces lieux et que les habitants de ces lieux, sur le marché international du tourisme.
Pour que l’île soit vraiment à grand spectacle, il faut en effacer toute trace de vraie vie, toute mention d’une Histoire qui ne serait pas seulement celle dont a besoin l’idéologie dominante.
Fidèle à son combat anticolonialiste et anticapitaliste, le mouvement MARON, demande à tous les Réunionnais de s’opposer au projet révisionniste du député-maire du Tampon.


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