Une ’ténébreuse affaire’

16 février 2006

Parmi toutes les choses dites sur le procès d’Outreau, qui a secoué de fond en comble l’appareil judiciaire pour atteindre la société française dans toutes ses profondeurs, il y en a 2 au moins qui méritent notre attention.
La première qui saute aux yeux, c’est la faillite d’un système qui fonctionnait déjà mal depuis longtemps, et qui doit être de toute urgence réformé. Aussi, devant l’ampleur de la crise, quelle n’est pas la tentation de certains aux postes de commande de chercher à minimiser les faits, à les banaliser en les réduisant aux dimensions d’un simple fait divers, dont le principal et unique responsable serait ce "petit juge", comme on l’appelle, victime de sa jeunesse, de son inexpérience et, selon l’explication du procureur de la République, de l’effet dévastateur du "mythe de la pédophilie".
On a du mal en effet à réaliser qu’un tribunal, chargé précisément de rendre la justice, ait pu à ce point se tromper, "faire fausse route", pour reprendre l’expression du juge chargé d’instruire l’affaire. Comment a-t-on pu placer en garde à vue, puis en examen, des dizaines de personnes, sur la foi de dénonciations qu’on aurait négligé de vérifier et qui se seraient révélées fausses par la suite ? Comment a-t-on pu mettre 18 d’entre elles en détention provisoire où elles sont restées jusqu’à 3 ans ? L’une d’elles allant même se donner la mort en prison avec une dose massive de médicaments ! Comment a-t-on pu traîner sur les bancs des accusés 17 personnes, soupçonnées injustement d’appartenir à un réseau international de proxénétisme d’enfants, alors qu’elles n’auraient "strictement rien fait", pour en condamner seulement 6 en première instance et les acquitter toutes en appel 18 mois plus tard ?
Un autre point a été souligné par l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, après l’audition du juge Fabrice Burgaud devant la Commission d’enquête parlementaire : "le contraste" entre "la solitude d’un jeune homme" et "l’immensité des pouvoirs qu’il détient". Cet isolement, reconnu par tous, et par l’intéressé lui-même quand il regrette que personne ne lui ait dit qu’il "faisait fausse route", est le fait du pouvoir. Et du pouvoir seul. D’autant plus seul qu’il est absolu. Pouvoir qui lui est dicté par la loi elle-même et qui procède de l’organisation sociale. Laquelle, soit dit en passant, aurait bien mauvaise grâce aujourd’hui de venir lui reprocher ce qu’elle lui a octroyé si libéralement dans le passé, en le transformant en “bouc émissaire”.

Georges Benne


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