Vers le totalitarisme (I) : la crise d’avenir

3 mars 2020, par Bruno Bourgeon

La crise d’avenir est une maladie dont le processus débute par une carence, suivie d’une explosion et se termine par une gigantesque poussée de fièvre.

La carence d’avenir survient dans les années 2000. L’Occident est en panne de vision : cécité à l’impératif de changement, refus des systèmes en place à se remettre en question, élites arrimées à leurs prés carrés pour qui les réalités changeantes du monde sont dans le meilleur des cas des sujets de contrariété.
Explosion d’avenirs dans les années 2010 : on assiste depuis une dizaine d’années à une explosion tout aussi pathologique de l’offre en matière d’avenirs, chacun y allant de ses prédictions, innovations, projets et visions d’avenir, imaginant le futur vierge et ouvert à sa seule volonté. Dans un monde physiquement plein, l’avenir est apparu comme la seule terra incognita offerte aux aventuriers qui s’y ruent encore dans le plus grand désordre. Malheureusement le futur est aussi plein que le présent et, sans carte fiable de ses réalités dures, c’est un grand carambolage qui en résulte, exprimé par toutes les tensions (géo)politiques traversant la planète.
Poussée de fièvre à partir de 2020 : la 3ème phase de cette pathologie sociale, la poussée de fièvre consiste en un vaste « nettoyage simplificateur » d’avenir qui prend tous les accents du totalitarisme.

L’hystérie futuriste : la visualisation de l’apocalypse

Nous savions que le monde allait passer d’une situation d’horizons bouchés à une explosion de l’offre d’avenirs. La réalité dépasse l’imagination. Les réseaux sociaux sont les vitrines de cette compétition d’avenirs, assaisonnés de valeurs morales « XXIème siècle » : images d’un monde de professionnels de science-fiction, pensant bien et parlant blanc, angoissés à l’idée de « louper » l’innovation qui les rendra riches, où chacun se pose en oracle. Les médias, dont le métier est de parler de ce qu’il s’est passé, sont de plus en plus tournés vers ce qu’il va se passer, présentant données sur le passé et anticipations de l’avenir, sans offrir à leurs lecteurs la chance de pouvoir se repérer dans leur grande « macédoine » intellectuelle. Les écoles transmettent à leurs étudiants l’idée que l’avenir sera ce qu’ils en feront sans leur offrir de méthode de rationalisation de celui-ci. Les acteurs économiques et politiques veulent « anticiper les anticipations » de leurs concurrents, aboutissant à de nouvelles formes de paralysie devant une réalité d’avenir trop complexe pour l’action. Cette foire à l’avenir serait-elle la dernière forme d’expression de la liberté qui a soufflé sur le monde pendant un peu plus d’un demi-siècle, liberté désormais retranchée dans ce lendemain fantasmé ? « L’avenir est ce qu’on en fera » certes, mais de combien de « je » divergents est composé ce « on » ? A quoi ressemblera le produit de tous ces « je » incohérents ?
Quoiqu’il en soit, cet excès d’avenir présente un spectacle de plus en plus effrayant pour une part croissante de population qui se réfugie dans toutes les formes de « repli » que l’on sait : nationalisme, religiosité, tout sécurité, écologisme… et autres rejets d’une modernité mue par des apprentis-sorciers. En 20 ans, nos sociétés sont passées de « l’avenir n’est pas un sujet » à une mise en scène dramatique d’avenirs techno-environnementaux inspirant à des pans importants de population des sentiments de terreur… un « terrorisme de l’avenir ». La « solastalgie » que je vous ai déjà évoquée est une pathologie identifiée depuis 1958, consistant en une souffrance mentale à l’idée de la disparition du monde familier dont la course exclut graduellement l’humanité tout entière, créant le sentiment nostalgique que « nous devenons tous des étrangers dans nos propres pays ». Cette maladie affecte les personnes très sensibles à la perspective des changements climatiques et environnementaux à venir. On parle même de syndrome « pré-traumatique » … Maladie du futur donc. Ce qui nous amène à l’autre face, à savoir la projection morbide dans un avenir apocalyptique, donnant lieu aux formes extrêmes d’écologisme de type Extinction Rébellion, sans réelle vision du futur… Ce sont les deux faces d’une même pièce : la « futurite ».

Futurisme et fascisme

Cette « futurite » ambiante fait suite à la gigantesque révolution sociétale entraînée par Internet. Une révolution comparable aux conséquences d’une guerre : reconstruire sur de nouvelles bases. Ce travail collectif de reconstruction d’une société oblige à faire des plans, à penser demain. Tout le monde s’y attelle. Mais l’inadéquation des structures de pouvoir issues de la période antérieure a interdit tout travail coordonné et donc tout résultat satisfaisant, faisant monter les sentiments d’inefficacité, d’impuissance et de colère. Monde à reconstruire, élites impuissantes, quelles voies emprunteront les peuples en colère pour sortir du piège où les plonge la complexité de la transition systémique à accomplir ? L’ampleur de la tâche oblige à craindre le pire…
La situation dans laquelle l’humanité se trouve est sans précédent, mais elle rappelle cette autre époque trouble qui a présidé à l’avènement des grandes expériences totalitaires du XXème siècle, elles aussi ancrées dans un rapport modifié au temps et au progrès notamment révélé par le « futurisme », ce courant artistique né en Italie, cent ans précisément avant cette « futurite » qui nous occupe. Soyons clair : le futurisme italien n’est pas fasciste ; mais il a fourni un terreau intellectuel au projet mussolinien. Né en 1909 autour du poète Marinetti, ce mouvement s’est posé en rupture avec la tradition esthétique classique pour célébrer les représentations de la modernité qu’étaient la ville, les machines et la vitesse… Le Trans-humanisme en est la version contemporaine. Dès l’origine Marinetti intégrait à sa pensée artistique une dimension politique impliquant la réflexion sur de nouvelles valeurs sociales... La bien-pensance intriquée dans les descriptions d’avenir sur les médias mainstream est un écho moderne aux idées de Marinetti. Certes l’Histoire ne se répète pas, mais tout en balbutiant, elle vocifère ses intentions. Et d’autres parallèles s’imposent…

Jeunisme et écologisme

En cohérence avec l’orientation future décrite ci-dessus, la société a connu un renversement générationnel radical, passant en une dizaine d’années d’une primauté des baby-boomers à celle des générations y et z (les 15-45 ans en gros), sautant allégrement la « génération x » qui se retrouve aujourd’hui assimilée aux baby-boomers au plus grand mépris de leurs caractéristiques et projets spécifiques.
Chefs d’État et de gouvernement de moins de 40 ans (Marin en Finlande, Kurz en Autriche, Leo Varadkar en Irlande, Roivas en Estonie, Macron en France, mais aussi Kim Jong-Un en Corée du Nord ou Tamim Ben Hamad Al-Thani au Qatar…), 7 ministres belges de moins de 40 ans, égéries de moins de 20 ans (Greta Thunberg en Suède), plus un projet ne peut se permettre de ne pas avoir sa/ses jeune(s) icône(s) … Or en toute chose, l’excès est mauvais. Le discours baby-boomer actuel sur le thème « A vous les jeunes de réparer nos bêtises, nous on part à la retraite ! » est la dernière expression de l’irresponsabilité d’une partie de cette génération, faisant mine de laisser une génération inexpérimentée, mal éduquée et déconnectée de l’Histoire (résultant de la culture de l’instantanéité promue par Internet) gérer la plus grande transition systémique de l’Histoire de l’Humanité. En réalité, le jeunisme est une fois de plus la version idéologique de l’authentique rajeunissement souhaité de la politique. Ces jeunes sont-ils des acteurs d’un projet bien pensé à l’élaboration duquel ils ont participé ? Ou les icônes d’un autre projet projeté par une autre génération, de plus en plus illégitime ? Nous avons tendance à voir la main du baby-boom derrière les visions de fin du monde véhiculées par une génération en fin de course. Et l’écho du passé qui s’impose à nos esprits, sont ces mouvements de jeunesse que les totalitarismes mettent toujours en place pour avoir l’air sympathique et imposer leur idéologie pour les siècles des siècles : jeunesses communistes, fascistes, hitlériennes, etc… Les politiques d’embrigadement de la jeunesse que ces régimes ont mis en place au siècle dernier sont-elles si différentes de celles dont sont aujourd’hui la cible les jeunesses mondiales sur le thème de la catastrophe climatique : « jeunesses écologistes » ?

2020 : mobilisation générale contre le changement climatique

L’écologie, ou préservation de l’environnement dans un monde surpeuplé, mérite largement un débat éclairé, des politiques intelligentes et des investissements efficaces ; en revanche, l’écologisme est la version idéologique, où la préservation de l’environnement devient l’habillage d’une machine de guerre contre les libertés et la raison dans laquelle viendront de plus en plus s’engouffrer d’obscurs agendas d’argent et de pouvoir. En 2020, ça y est, tout le monde a compris que l’écologie fournit le thème fédérateur permettant de retrouver la puissance d’action à laquelle oblige la taille des enjeux de transformation. Pour ne citer que deux cas des plus emblématiques de cette prise de conscience :

• Celle de l’UE de Von Der Leyen qui lance son Green Deal, destiné à catalyser l’émergence d’une finance à l’échelle du continent (même si l’objectif est salutaire, on voit déjà que l’écologie sert d’autres agendas, tout aussi pertinents d’ailleurs : croissance, inégalités… et changement climatique).
• Celle de la finance internationale incarnée par Larry Fink (BlackRock) rédigeant son manifeste vert en mettant en garde ses pairs contre les dangers que feront peser les catastrophes climatiques sur les assurances et in fine sur l’ensemble du système financier, et en proposant d’orienter la puissance de feu du secteur vers l’investissement dans l’économie verte.
Mais ces deux cas ne sont que révélateurs du puissant phénomène de convergence de toutes les parties vers la lutte contre le changement climatique :
• Davos 2020 sur le thème du climat
• Partis politiques quasiment tous verdis ; même les partis d’extrême-droite y viennent, prenant conscience du potentiel politique de cette cause
• Opinions publiques ultra-sensibilisées à coup de vidéos-catastrophes et d’incessants messages sur l’apocalypse climatique
• Petites et moyennes entreprises se mobilisant pour divers écolabels
• Grandes entreprises communiquant sur leurs actions en faveur de l’environnement : greenwashing, green marketing
• Ecoles, réseaux sociaux, publicité…

Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID
d’après GEAB 142, bulletin mensuel du Laboratoire européen d’Anticipation Politique

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