Violences urbaines : le pluriel à son importance

19 janvier 2006

Deux mois après les émeutes de banlieues déclenchées par le drame de Clichy-sous-bois, se dessinent nettement aujourd’hui deux types d’explications : le premier en termes de délinquance, le second en termes de manifestation du désespoir social.
Pour être totalement exhaustif, il faudrait en ajouter un troisième, très minoritaire puisqu’on ne le trouve, me semble-t-il, que sous la plume d’Alain Finkelkrault, voyant dans les violences urbaines un complot ethnique antisémite. Les banlieues seraient, pour l’auteur des têtes de ponts, visant le peuple hébreu. On ne discutera même pas cette troisième interprétation “paranoïaque”, où tout peut faire sens et être raccroché à un grand complot contre les Israéliens (tout en reconnaissant bien sur l’existence d’une forme de racisme antisémite chaque fois que l’on passe de la critique - légitime - de la politique de l’état d’Israël, aux attaques - totalement illégitimes et inacceptables - des hébreux en tant que tel).
Revenons aux deux interprétations principales. Envisageons d’abord celle en terme de “bandes délinquantes”. Elle vise à mettre dans un même sac plusieurs formes de violence. Ce qui conduit évidemment à occulter la spécificité de chacune d’elles. C’est la position tenue par tous ceux (dont Nicolas Sarkozy) qui amalgament voitures brûlées, coups de poignards portés sur une enseignante à Étampes, agressions sur le trajet SNCF Nice-Lyon... pour désigner la même cible unique : le jeune de banlieues (prétendument) toujours prêt à assaillir la veuve et l’orphelin.

Mais ne faut-il pas, tout autant, se défier de l’amalgame inverse ne voyant dans ces divers types de violence des effets disparates d’une seule et même cause : le désespoir social. Dire, en outre, que brûler des voitures est le seul et unique moyen d’expression de ces jeunes aboutit, à mon sens, à trois paradoxes.

- Le premier paradoxe est celui de la permissivité rendant la transgression impossible parce qu’on l’accepte dès son apparition voire par avance. Accepter, (tout ou presque), prive la transgression de sa force transgressive tant du point de vue politique que de celui de la construction de l’identité personnelle des jeunes condamnés à faire indéfiniment monter le niveau de leurs transgressions en l’absence de butées symboliques pouvant leur donner un sens. Transgresser, en effet, ne sert à se construire, que dans un système de confrontation à la règle ; en l’absence de repères, les jeunes se lancent dans des transgressions d’autant plus vaines qu’à aucun moment, elles n’établissent des limites. Le plus urgent d’un point de vue des politiques éducatives semble donc de rabaisser le seuil du “transgressable” avec des conséquences raisonnables et réversibles sur les parcours individuels. Le pire étant, la situation actuelle, où s’installe l’idée d’une transgression “roulette russe”, en tout ou rien, ou l’impunité totale ou la prison ferme.

- Le deuxième paradoxe est celui de la “compensation”. La privation de leur droit fondamental au travail légitimerait, en quelque sorte, le fait que les jeunes s’accordent d’autres droits “compensateurs” sur la santé ou les biens de leurs voisins (ce qui supposerait déjà que les jeunes en questions soient en âge de travailler, ce qui est loin d’être toujours le cas). Accepter l’idée d’un troc d’un droit contre un autre n’est vraiment pas rendre service aux jeunes. Par contre, c’est tout bénéfice pour le “sarkosysme” qui peut agiter l’épouvantail des banlieues sans rien changer à l’ultra-libéralisme. Rien de plus facile ensuite que de jouer l’indignation en se demandant pourquoi les jeunes des banlieues auraient-ils tous les droits ? Interrogation d’autant plus fréquente à droite qu’elle est forcement déstabilisante à gauche. Quelle autre catégorie sociale, victime du “sarkozysme”, pourrait, en effet, en faire autant sans susciter la stupéfaction générale ? Ni les intermittents du spectacle, ni les infirmières, ni les transporteurs routiers, ni les licenciés en masse, ne peuvent s’offrir de brûler des voitures, ce qui est alors présenté comme un privilège. Privilège forcement problématique dans une société où il est constitutionnellement établi que "nul n’est au-dessus des lois".

- Le troisième paradoxe est celui du pardon au prix du mépris. Admettre que brûler des voitures soit l’unique moyen d’expression des jeunes leur dénie la capacité à s’engager dans d’autres formes de contestations associatives ou politiques. Le coût de l’excuse, voire de la justification est dans cette perspective exorbitant : rien moins que la reconnaissance de leur fondamentale cécité politique, celle de leur totale impuissance à distinguer leurs amis de leurs ennemis, et enfin celle de leur domination absolue par les principes individualistes. Loin d’en faire des idiots sociaux, je serais plutôt porté à croire qu’ils ont choisi (en termes d’agir stratégique), parmi tout les moyens à leur disposition (inscription sur les listes électorales pour les plus âgés, manifestation pacifique de type “marche blanche”, action spectaculaire de type “die-in d’Act-up” etc... celui qui leur assurerait la meilleure couverture médiatique.

En conclusion, on peut donc s’étonner de la nature d’un débat où aller brûler des voitures renverrait de manière binaire à une seule cause ou à une seule autre. De même, qu’il y a plusieurs raisons d’aller assister à un match de foot (voir du beau jeu, supporter son équipe, être avec des copains...), il y a sans doute plusieurs raisons pour aller brûler des voitures (signifier son ras-le-bol, se sentir exister plus et redonner de l’intensité à sa vie, mais aussi se payer un peu de bon temps avec les copains, etc...). Par-delà les irrépressibles élans du cœur et d’empathie, il y a donc, sans doute, lieu de se méfier des explications monovalentes qui ne rendent pas souvent compte de la réalité.

Pascal Duret


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