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par le Dr Raymond Vergès

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Le garçon qui courait toujours

La myopathie — 3 —

mardi 17 juillet 2012


’Handicapable !’ est le nom d’une rubrique bi-hebdomadaire qui couvre les vacances d’hiver et dont l’objet est d’évoquer non tant le handicap que le handicapé à travers des histoires qui le mettent en scène. Les récits qui vous seront proposés les mardis et vendredis cherchent à faire découvrir ce que représentent les mots — parfois inquiétants — de myopathie, de dyslexie, d’autiste, de mutisme, de paraplégie, de trisomie..., et à nous rendre plus proches ces affections, au double sens du terme. Mieux regarder le handicap est le défi d’’Handicapable !’.


Thomas, immobile, ne pouvait plus répondre de la main au signe que Tom lui envoyait, mais son frère savait qu’il était avec lui. Déjà, à 9 ans, Thomas déclarait : « Eh bien moi, quand je serai plus grand, j’aurai un fauteuil électrique de compèt, et j’irai plus vite que ça… ».
Le signal pouvait retentir, Tom était prêt : il s’était promis de se battre jusqu’au bout de la course comme on doit se battre jusqu’au bout de la vie. Comme le faisait son frère. Il avait déjà remporté la coupe des 10 kilomètres de Saint-André, son frérot lui avait dit : « La coupe des îles, c’est comme aller à l’épicerie ». Ce mot, il se le répéta avant le départ : « C’est comme aller à l’épicerie… ».
Il géra si bien sa course qu’il entra second dans la dernière ligne droite. Il courut de toutes ses forces, mais le concurrent malgache qui était devant lui s’accrochait, Tom le rattrapait progressivement, à chaque enjambée, mais il n’allait pas suffisamment vite pour le dépasser avant la ligne. C’est là que se produisit l’invraisemblable : son adversaire se mélangea les pinceaux, vacilla, puis tomba. Tom hésita entre plusieurs attitudes : celle de rigoler à gorge déployée, mais s’il faisait ça, il tomberait aussi, celle de s’arrêter pour relever son concurrent, quitte à le laisser passer devant, mais il entendait déjà les pas précipités derrière lui, alors il perçut la voix de son entraîneur qui criait : « Le Championnat de France, Tom ! Allez, le championnat ! ». Il se reprit et termina premier. Une demi-victoire. A bout de souffle, fit un signe à sa famille. Il savait qu’ils iraient en métropole. En sueur, il ne se changea pas, et rejoignit sa mère et son frère qui se trouvaient dans la loge. Il vit des étoiles dans les yeux de Thomas : « Déjà de retour, Tom ?, lui demanda-t-il. J’aimerais me déplacer aussi vite que toi…
- Comparé aux étoiles filantes, je vais à la vitesse d’un escargot de Bourgogne., répondit Tom entre deux respirations.

- J’en mangerais bien, tiens !, décréta Thomas.

- Vous les avez bien mérités, conclut la mère, on est invité dans un grand restaurant pour fêter la victoire. Va te changer, Tom. On t’attendra quand même pour les déguster ». L’athlète fila aussitôt.
Plus jeune, quand sa mère lui demandait d’aller chercher des bonbons pour lui et son frère, Tom courait à la boutique : « j’y vais ». Et il revenait aussi vite qu’il était parti. Par son attitude même, il voulait encourager son frère à se battre.

« Thomas a toute sa tête, ce sont ses muscles qui meurent un à un », disait, avant, maman. Encore jeune, on se voit mourir. D’abord, les jambes qui ne peuvent plus supporter le corps, les gestes qui deviennent de plus en plus raides, saccadés. Les bras qui deviennent inutiles. On se trouve assis sur une chaise roulante, vers dix ans. Puis, c’est le corps qui ne peut plus se soutenir. Alors, les médecins pratiquent une opération chirurgicale : ils insèrent une tige le long de la colonne vertébrale pour tenir droit le buste, on emprunte la vie aux objets. Dès lors, on ne pourra plus se pencher. Et puis, c’est la cage thoracique qui ne peut plus faire son travail. Un appareil respiratoire placé derrière la chaise électrique la remplacera avec un tuyau. Quand on ne peut plus avaler, on est intubé. Et puis, tout au bout, il y a des mots qui n’ont plus aucun sens.
Mais invariablement, le temps fléchit : il s’accélère alors que tout le corps au contraire ralentit. La vie raccourcie de cette manière, c’est une course perpétuelle contre la montre. A 16 ans, la seule attente de Thomas était d’avoir le Bac. Son unique espoir : une guérison sans cesse repoussée et de plus en plus fantomatique. Comme le disait le médecin : « Une chance sur mille qu’on trouve un médicament d’ici 5 ans. Mais c’est quand même une chance ».
La maladie, elle est toujours là, pas moyen de l’oublier : avec les médecins, dans la chaise roulante, dans les regards, elle est là. Elle règne : elle vous installe sur un trône pour que vous puissiez la voir venir, la Mort accrochée à son bras. Alors, elles vous regardent toutes les deux dans les yeux, et y cherchent la peur… C’est pour cela que les jumeaux n’en parlent jamais, de la maladie. C’en était assez de sa présence, il ne fallait pas la faire exister davantage : elle prenait suffisamment de place comme ça. Entre eux, et en eux-mêmes.

Pour sa préparation au Championnat de France junior, le jeune Réunionnais obtint un billet. Il était admis dans un club du Sud de la France pour s’entraîner, sa mère et son frère l’accompagnèrent. Durant la course pour la coupe, Thomas qui avait fait un malaise avait été emporté à l’hôpital. La victoire — il fut deuxième — n’en fut pas une. Tom ne vit personne dans le gradin, il eut à peine la patience de recevoir sa médaille qu’il se fit véhiculer jusqu’à la chambre d’hôpital.
« Ne t’inquiète pas, lui dit Thomas, tu verras, je guérirai. On trouvera un médicament et je peux te dire que, une fois que j’aurais retrouvé mes jambes, je courrai plus vite que toi !...

- Chiche ! »

(Suite dans le numéro de vendredi)


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