Ary Yee Chong Tchi Kan, auteur du livre ’Réconciliation et fraternité’

« Il est urgent de se mettre d’accord sur l’essentiel »

5 janvier 2010

Lors de ses vœux, le président de la République a conclu sur un appel à redonner un sens à la ’fraternité’ inscrite dans la devise républicaine. ’Témoignages’ a demandé à Ary Yee Chong Tchi Kan, auteur du livre ’Réconciliation et fraternité’, d’apporter un éclairage sur cette nouvelle orientation annoncée par le chef de l’État, à mi-mandat.

Que pensez-vous de l’appel du Président de la République à donner du sens au mot “fraternité” ?

- En fait, il a parlé de respect et de fraternité. Le mot “respect” termine une interview qu’il a donnée à la presse antillaise fin septembre et reprise ici dans le “JIR”. Sur la couverture du document de synthèses des Etats Généraux pour l’Outre-Mer, il est mentionné : « pour une République plus fraternelle ». Je vous renvoie à la lettre ouverte au Président de la République que j’ai rendu publique, le 28 octobre, une dizaine de jours avant le 6 novembre. Ce courrier l’interpelle justement sur le sens à accorder « au respect et à la fraternité », au sein de la République française. Mais essayons de sortir des finalités immédiates de ce genre de discours de réveillon, pour débattre du fond. Quelle est la réalité ?

En deux ans et demi de mandat, il a été confronté à des situations inédites que son caractère fougueux n’a pas permis de faire oublier les résultats mitigés : des manifestations en Outre-mer, à Copenhague en passant par la crise systémique de l’économie mondiale, etc… L’examen au fond de tous ces phénomènes repose sur une analyse qui a été maintes fois décrite par Paul Vergès, c’est la croissance démographique mondiale et le modèle de développement.

Pour traiter sa transition démographique, il y a 500 ans, l’Occident a déversé sur la planète entière son surplus de population, imposant de facto son modèle de développement. L’Histoire a condamné la solution coloniale. Nous sommes à la fin de ce cycle de 500 ans de colonisation et son cortège de conséquences. Il y a 20 ans, la victoire de l’Occident dans la Guerre Froide a été présente comme le triomphe de son modèle de développement et des valeurs de sa civilisation. Cela conduit à la situation suivante : au cœur de la République française, 6.000 personnes trouvent la mort dans la mer, c’est qu’elles sont attirées par le modèle qu’on leur fait miroiter. Devant les affamés du système global, un Premier ministre a dit : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », un autre a déclaré devant les travailleurs licenciés pour délocalisation d’entreprise : « je n’y peux rien »

Dans cette transition post-coloniale, les pays émergents agissent en accéléré pour alimenter et tenter de rattraper le modèle de référence. Or, avec 8 milliards d’habitants, bientôt 10 milliards, il faut autre chose.

Est-ce à dire que cette autre chose devra reposer sur de nouvelles valeurs ?

- Forcément, cette autre chose doit être consensuelle et animée d’une haute conscience du “bien commun”. Sans cette vision commune de l’avenir, il est impossible de rassembler de larges couches de population sur des solutions immédiates ou à court terme. Nous resterions dans l’affrontement dérisoire et stérile du jeu politicien infantilisant. On voit ça chez nous à La Réunion. Nous devons tous tirer des leçons de Copenhague : il sera dérisoire demain de jeter la faute sur l’autre quand la catastrophe deviendra réalité. Il est urgent de se mettre d’accord sur l’essentiel. C’est une question de responsabilité devant le jugement de l’Histoire.

Le débat sur la Fraternité s’inscrit dans cette réalité historique qui nous concerne tous. En premier lieu, pour rétablir l’Egalité entre les citoyens du monde, pas seulement dans la République française. Les populations de Tuvalu, des Maldives… ne demandent qu’à vivre chez elles. Pour cela, ils sollicitent de la Communauté internationale un effort collectif à 1,5 degré, on leur impose 2 degrés. Mettons-nous un instant à leur place. Ils savent qu’ils vont disparaître, ils réclament une bouée de sauvetage, nous refusons, tout en nous gaussant de « Fraternité » dans notre devise. En prévision des catastrophes, qui veut les accueillir et leur donner la citoyenneté ainsi que le couvert qu’on refuse, par ailleurs, a quelques milliers “d’étrangers” ?

Nous sommes bien au cœur du débat de fond sur le devenir des rapports humains.

- Absolument. Nous avons des responsables politiques, ici, qui nous enseignent que les décisions politiques doivent être prises dans le but de renforcer l’unité réunionnaise. Lorsqu’il y a dix ans, Paul Vergès et Marie-Claude Tjibaou signent l’Appel de Nouméa en faveur du respect de la diversité culturelle, ils donnent du sens à l’action qui sous-tend le projet de la MCUR, qui est un combat exemplaire pour le respect des civilisations et la Fraternité réunionnaise. Pouvons-nous être dignes et fiers du beau nom que porte notre pays : La Réunion ?

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