Jacques Ecormier, météorologiste

« Je place les usagers, les clients au centre de mes préoccupations »

28 décembre 2008, par Jean Fabrice Nativel

Jacques Ecormier, météorologiste aime son métier. Un rêve qui est devenu réalité. Une passion qu’il partage avec nous.

Jacques Ecormier nous sommes en saison cyclonique. Pour nous alerter de l’approche ou de l’éloignement de "tourbillon d’air" le système des alertes a été revu. Qu’est-ce qui a réellement changé ?

- Le plan de secours spécialisé « Cyclones » a été révisé début décembre 2008. L’appellation de certaines phases d’alerte a évolué. La vigilance cyclonique n’existe plus. Elle est remplacée par la pré-alerte cyclonique. La phase de prudence a été remplacée par la phase de sauvegarde. Le système d’alertes cycloniques en vigueur actuellement est le suivant. La pré-alerte cyclonique indique une menace potentielle dans les jours à venir, l’alerte orange un danger dans les 24 heures, l’alerte rouge -annoncée avec un préavis de 3 heures- un danger imminent. La phase de sauvegarde précise que la menace cyclonique est écartée mais que des dangers persistent. Les conditions cycloniques sont basées uniquement sur la vitesse des vents, soit des vents moyens supérieurs à 100 km/h avec des rafales excédant 150 km/h.

Que pouvez-vous nous dire de l’intensité des cyclones ?

- La naissance d’un cyclone tropical requiert plusieurs conditions. En simplifiant, nous dirons des conditions thermiques. La température de la mer doit être supérieure à 26°c sur une profondeur d’au moins 60 mètres. C’est le carburant du cyclone tropical. Des conditions dynamiques, la présence d’une dépression au niveau de la mer avec un renforcement des alizés et-ou de mousson, présence d’une zone de divergence (anticyclone) en haute altitude, l’existence d’une homogénéité des vents du niveau de la mer jusqu’en haute altitude.
L’intensité des cyclones tropicaux est déterminée par l’analyse des images satellitaires qui a été développée par un chercheur américain, Vernon Dvorak. L’échelle de Dvorak permet de classer les systèmes dépressionnaires tropicaux de 1 à 8. À chaque nombre correspondent des vitesses maximales de vent et de pression au niveau du centre du système.
La classification utilisée dans le Sud-Ouest de l’océan Indien va de l’intensité la plus faible à la plus élevée (cyclone tropical très intense) : la zone perturbée, la perturbation tropicale, la dépression tropicale, la tempête tropicale modérée, la forte tempête tropicale, le cyclone tropical, le cyclone tropical intense, le cyclone tropical très intense.
Le nombre global (au niveau de la Terre) des cyclones tropicaux est à peu près stable avec 80 par an. Néanmoins, des fluctuations du nombre des cyclones tropicaux existent dans les différents bassins cycloniques.

Avec l’accroissement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et donc de l’augmentation de la température globale de l’air et de la température de surface de la mer, des questions se posent sur l’activité cyclonique future.

- Le fonctionnement d’un cyclone tropical est lié à la température de surface de la mer et à la température à la tropopause. Or, le réchauffement touchera autant les températures de surface de la mer que la haute troposphère. Nous ne pouvons pas donc envisager que la hausse des températures de surface de la mer provoquera inévitablement une augmentation de l’activité cyclonique.
Actuellement, au sein de la communauté scientifique, aucun consensus n’existe sur l’évolution de l’activité cyclonique. Certains indiquent une baisse du nombre des cyclones tropicaux, mais avec une augmentation des cyclones tropicaux intenses. D’autres envisagent une augmentation du nombre global des cyclones tropicaux sans modification d’intensité. D’autres études s’intéressent aux modifications de trajectoires ce qui amèneraient les cyclones tropicaux à toucher des populations aujourd’hui épargnées. Cette hypothèse ne doit pas être rejetée. En mars 2004, l’Océan Atlantique Sud a eu son premier cyclone tropical "Catarina" au large du Brésil. Un point d’accord, les pluies associées aux phénomènes cycloniques augmenteront.

Aujourd’hui, l’été est-il plus chaud et l’hiver plus froid (et vice-versa) ou les températures sont-elles semblables aux années précédentes ? Pleut-il davantage aujourd’hui sur notre île qu’hier ? Des régions sont-elles plus arrosées que d’autres ?

- Selon une étude effectuée sur la période 1970-2004 par le service Climatologie, il s’avère que le réchauffement à l’île de La Réunion est peu important (+0°2c). Il est essentiellement dû à une hausse sensible des températures minimales (+0°5c) alors que les températures maximales sont globalement sans évolution sensible. Cette étude indique que sur la période 1970-2004, les précipitations diminuent : les déficits sur la région sous le vent sont de l’ordre de -30% ; les déficits sont plus faibles sur la région au vent, inférieurs à -10%. Cette constatation ne précise pas l’évolution future des précipitations à La Réunion. Cette diminution pourrait être liée à un cycle naturel. Depuis 2000, nous constatons une hausse des précipitations sur l’île.
Depuis plusieurs années, une hausse du niveau de la mer est mesurée. Certaines îles (exemple : les Maldives) pourraient être submergées lors de tsunami ou de houles. À La Réunion, ce risque n’existe pas. Par contre, lors de la construction des nouvelles infrastructures côtières, cet aléa doit être pris en considération.

Que vous apporte votre métier ?

- Je suis passionné par mon métier de météorologiste et je réalise un des métiers dont j’ai rêvé étant adolescent. Avec internet, les passionnés de météorologie, jeunes ou plus âgés peuvent aujourd’hui apprendre et vivre pleinement leur passion. Mon métier me permet de participer à la sauvegarde des personnes et des biens, de contribuer au bon fonctionnement de la société. Il m’a permis également de travailler avec des météorologistes de la zone lors de phénomènes météorologiques dangereux (la houle de mai 2007).
Je place les usagers, les clients au centre de mes préoccupations bien que, parfois la prévision soit moins bonne. Il faut alors préciser les limites de notre savoir-faire, et de nos connaissances. Par ailleurs, j’essaie de vulgariser la météorologie et d’utiliser des termes compréhensibles par le grand public. La prévision est un travail d’équipe. Le travail en équipe est nécessaire et indispensable. Par ailleurs, il faut toujours se remettre en cause, apprendre, collaborer avec les chercheurs afin d’améliorer la prévision. Sur le plan personnel, ce métier me pousse à l’humilité face aux forces de la nature. Je présente mes meilleurs vœux aux réunionnais en leur demandant de respecter notre environnement et sa biodiversité.

J.-F. N.

(1) la zone séparant la troposphère où se forment la quasi-totalité des nuages, de la stratosphère

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