Entretien avec Emmanuel Genvrin, du Théâtre Vollard, sur l’opéra ’Chin’

« Le message est celui de l’émancipation »

21 avril 2010

Suite aux deux premières représentations de l’opéra ’Chin’ par le Théâtre Vollard samedi et dimanche derniers au Théâtre de Champ-Fleuri à Saint-Denis, ’Témoignages’ a interrogé Emmanuel Genvrin, auteur du livret et metteur en scène de cette œuvre. Il nous donne le sens et les suites de cet événement politico-culturel…

Quel sens avez-vous voulu donner et quel message avez-vous voulu délivrer à travers "Chin" ?

- Nous voulions visiter les années 50 à La Réunion. D’abord les belles robes, les chapeaux pour tout le monde, l’élégance des vêtements, le style, la beauté des automobiles et des avions, l’optimisme de l’après-guerre malgré l’affrontement Est-Ouest, un certain art de vivre positif et plein d’avenir. Parler également d’une génération qui a rêvé de l’indépendance de l’île au sein du mouvement mondial de décolonisation : dans l’opéra on évoque la guerre d’Indochine, celle d’Algérie qui commence. On cite Mao, Hô Chi Min, mais aussi Guevara, Deng, Bourguiba, les Anciens comme le Mexicain Zapata et bien sûr la lignée des marrons réunionnais.
Le message est celui de l’émancipation. Mais on n’est pas dupes, la deuxième partie est plus trash quand les utopies et les belles idées sombrent dans les contradictions, les conflits, la folie, les bondié, le "bazar" créole. À La Réunion ça commence toujours bien puis ça se déglingue.
À Vollard, dans nos spectacles, on a évoqué cette difficulté locale à rester sérieux, à se respecter, à tenir la distance. Heureusement qu’il y a l’humour, le moukatage, y compris dans "Chin" quand le sucrier donne solennellement son usine aux ouvriers ou quand Chin verse délicieusement dans le culte de la personnalité.

Quelles différences faites-vous entre le côté historique de cet opéra et le côté artistique, imaginaire ?

- Contrairement à ce que l’on peut penser, ce qui est raconté dans l’opéra est vrai, mais pas toujours dans le bon sens, pas sur les mêmes personnages, pas sur les mêmes tempi. Disons que le récit de l’opéra est cohérent dans sa globalité. Normal, il y a d’abord nécessité dramaturgique : ainsi notre Monsieur Roger est un mélange de René et d’Yvrin Payet, son père. Il n’était pas handicapé mais on peut envisager que symboliquement son parcours l’a blessé.
Autre exemple : les histoires de destruction de temples malbar ayant entraîné des malédictions et autres mauvais sorts sont courantes chez les Blancs. J’en connais des tonnes, y compris sur Quartier-Français. Ce qui est intéressant là dedans ce sont les infiltrations, les interpénétrations entre les cultures et les religions.
On s’est amusé bien entendu avec l’actualité et les alliances dites contre-nature de Paul Vergès, son goût pour la ruse, les échafaudages, les usines à gaz politiques. Il est à noter que notre Monsieur Roger s’y connaît lui aussi. Il s’agit probablement d’un goût créole immodéré pour la politique. Mais coûteux en morale publique et en éthique. Dans la région on retrouve ces mêmes excès à Madagascar et à Maurice. Hélas, la vie n’est pas un jeu et l’Histoire est toujours tragique.

D’autres représentations de ce spectacle sont-elles prévues ? Si oui, où et quand ? Et quel sera le contenu de votre 3ème opéra annoncé par la présidente du Théâtre Vollard ?

- On a une demande précise du théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, qui a fait le déplacement pour la Première ; également une demande d’Huguette Bello sur Saint-Paul, où "Maraïna" a été si bien reçu en octobre dernier et qui aime personnellement l’opéra. Des reprises et des tournées sont donc envisageables. Heng, notre baryton chinois, nous assurait que "Chin" aurait à coup sûr du succès dans son pays. Alors…
En réalité, ne cachons pas nos faiblesses. Il nous faudrait une logistique, des finances et une solidité institutionnelle que nous n’avons pas. Ainsi, faute de reconnaissance et de statut, d’appuis, nous n’avons pu concrétiser des demandes pour "Maraïna" en Russie et aux États-Unis. Et même à l’Île Maurice, c’est dire ! À Vollard, on a toujours l’impression d’avoir les pouvoirs contre nous, ou qu’ils ont un train de retard.
Le contenu du 3ème opéra sera "Freedom", la radio, la télé, le mouvement, peu importe. Il s’agit d’un cas de démocratie directe (et en direct), absolu, fantasque, unique. On en perçoit la puissance et les limites. Nous ouvrons un chantier sur le sujet : théâtre, opéra, film ? Tout est possible, à l’instar de Quartier-Français, qui a donné lieu à une pièce de théâtre, un opéra et à un scénario écrit avec le cinéaste Yves Boisset.

 Correspondant 

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