25 mars 1962 ...

26 mars 2005

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Ce dont je vais vous causer appartient à un temps que les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent pas connaître.
J’y pensais encore hier soir, au terme d’un Vendredi Saint plus que jamais fait de ces préoccupations qui, dans nos familles réunionnaises, soudent très souvent les pensées.
C’était il y a 43 ans, le 25 mars 1962, un dimanche d’élection municipale partielle. Nous étions parvenus au terme d’un cycle inauguré quelque 5 ans auparavant : la caravane de l’opération “purification de l’île” était au Port, la dernière des villes réunionnaises qui "leur" manquait.
Léon De Lépervanche était mort le 14 novembre 1961. "Ils" avaient organisé les démissions de ce qu’il leur suffisait de conseillers pour pouvoir, le plus officiellement qui soit, procéder à la dissolution de la Municipalité, installer une délégation (très) spéciale et se préparer à la “Mission Mathurin”...
J’avais 16 ans et, aux côtés de mon père, j’avais suivi la campagne électorale de la liste conduite par Raymond Mondon.
De toute évidence, ce dernier était porté par l’affection, la reconnaissance, la clairvoyance et la fidélité d’une population dont il avait été le député, pendant de très longues années, et l’animateur de la vie scolaire, associative et sportive.
J’avais 16 ans et, je le crois bien, l’ardeur et l’idéal de ces jeunes Réunionnais dont les parents luttaient dur pour leur donner de l’instruction et de l’éducation. C’est sans doute pourquoi, ce dimanche 25 mars 1962, lorsque vers 18 heures 15, les forces de “l’ordre” chargèrent la petite foule qui était venue assister au dépouillement des votes des bureaux de l’école de la rue du Général Émile Rolland, je pris alors ma part, toute ma part, dans la riposte populaire qui nous préparerait à vivre les années qui suivraient la tête haute et à reprendre un jour notre ville.
"Ils" apprirent, jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, à nous connaître. Nous affrontions leurs mousquetons, leurs grenades, leurs ordres et leurs gros sabots. Derrière leurs casques et leurs boucliers, ils ne nous faisaient pas peur malgré leur nombre, leurs engins chenillés et leurs matraques. Leur brutalité décuplait notre audace. Nous ne nous sommes pas laissé faire, demandez leur !
Je vous le redis, de cette nuit du 25 mars, je pris ma part, toute ma part du refus et si aujourd’hui j’en souris volontiers, je ne vous cache pas que je ne m’en veux nullement d’avoir alors été porté par l’inconsciente ivresse de ceux qui refusent qu’on piétine les symboles. Je ne vous le cache pas, bien au contraire...
Et "ils" eurent beau, sur le coup de minuit, sous les masses de gaz lacrymogènes qui puaient leur méthode, dans la honte d’une Mairie vidée, salie, violée, "ils" eurent beau proclamer entre eux les résultats qu’ils voulaient et cacheter l’enveloppe toute prête à les officialiser avant que le chef Cluchard puisse faire savoir au grand chef Perreau-Pradier que la “Mission Mathurin” était terminée, derrière les larmes de rage de mes 16 ans, une autre vie commençait, comme pour d’autres de mon âge, peut-être un peu plus jeunes, peut-être un peu plus vieux, chacun et tous animés par les préoccupations qui soudent et qui forgent une conscience.
Neuf années passèrent. Il y eut le 21 mars 1971 et la Mairie reconquise pour une belle aventure. Et puis, pour moi encore, il y eut le 25 août 1975, un soir, à l’heure où Ariste Bolon réunissait "les camarades". Je me rappelle encore, c’était juste à côté de l’école où j’enseignais, dans la petite cour de la case de Lucien Gravier, sous la fraîcheur d’une sympathique tonnelle, au milieu de quelques dizaines de visages d’hommes et de femmes, mûris par les luttes de la vie et illuminés par une increvable espérance. Ce soir-là, je devins membre du Parti Communiste réunionnais. Sur le cahier des procès-verbaux des réunions que tenait Jacques Sarpédon, secrétaire de section, d’une écriture soignée comme on savait si bien le faire alors, il était indiqué : "Cellule 25 Mars 1962"...

R. Lauret.


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