Témoignages - Journal fondé le 5 mai 1944
par le Dr Raymond Vergès

Cliquez et soutenez la candidature des Chagossiens au Prix Nobel de la Paix

Accueil > Chroniques > Libres propos

À quoi tient-il donc que, lorsque autour de Gilbert Aubry il nous arrive de nous rencontrer, nous avons la certitude de partager les mêmes vraies valeurs de la vie ?

lundi 16 août 2010

Ils me sont arrivés, un matin de l’autre semaine, déposés dans ma boîte aux lettres par mon bien sympathique facteur de notre bonne et vielle Poste. Il y avait là, emballés dans du solide papier, “Mes quatre vérités”, le dernier livre de Raphaël Géminiani, et une lettre manuscrite de mon vieil ami André Blay.

André Blay ! J’étais encore tout jeune… tenez, lisons quelques passages de sa lettre. Cela vaut mieux que tout ce que je pourrais écrire. “… Dans les années cinquante, me rappelle-t-il, tu étais bien jeune, mais tu t’intéressais déjà au Sport et au cyclisme en particulier, c’est un secret de tous connu… À l’âge de 14/15 ans, comme beaucoup d’adolescents, je rêvais de devenir champion cycliste… et à l’âge de 19 ans, alors que j’étais dans l’armée à Bourbon (devancement d’appel), je pris le départ d’un Tour de l’Île en une seule étape, Le Port via le Grand Brûlé/l’Étang Salé/Le Port. Je terminais 9ème, sans entraînement spécifique. Par la suite, je disputai 4 ou 5 courses de moindre importance. Mon meilleur classement fut 2ème derrière Roger Cheffiare, lors d’un Le Port/Tampon aller-retour. Peu après l’arrivée, un grand garçon, un appareil photo à la main me demanda de poser pour lui — un grand honneur pour moi ! — et m’adressa un exemplaire chez mon père, Photo Blay, Avenue de la Victoire à Saint-Denis. Ce photographe amateur était connu au Port sous le pseudonyme de “Grand Raymond”. Nous nous revîmes lorsque je travaillai à la Banque de La Réunion du Port et notre passion pour le cyclisme fit que l’amitié naquit entre nous et durera jusqu’à ce que Dieu le Père somme Saint-Pierre de m’appeler…”.
Et c’est avec émotion que je dis merci à André, merci pour cette évocation de notre passé à tous les deux, en ces temps d’hier où, à peine adolescent et déjà pour “Témoignages”, je m’amusais à relater une vie sportive réunionnaise qui apportait tant de plaisirs au témoin et au pratiquant que j’étais et où, déjà, une grande aptitude pour ce qui serait demain une droiture sans faille caractérisait à mes yeux sa jeunesse pleine de fougue et particulièrement généreuse. Homme de fort belles lettres, il lui arrive aujourd’hui de dire, et toujours avec talent et modération dans la page du “Courrier des lecteurs” de nos confrères d’ici, ce que nombre d’entre nous pensent tout bas quand les excès et les extravagances de notre société heurtent le bon sens et la morale. Un signe qui est bien dans le droit fil de ce qu’il montrait hier.

Plusieurs dizaines d’années se sont écoulées. Et, lui et moi, nous avons « grandi » chacun de son côté pour devenir ce que nous sommes. André est sans doute « de droite » et moi « de gauche » . À quoi tient-il donc que cela nous importe si peu et que nous éprouvons l’un pour l’autre un réel et profond respect ? À quoi tient-il donc que, lorsque autour de Gilbert Aubry il nous arrive de nous rencontrer, nous avons la certitude de partager les mêmes vraies valeurs de la vie et que cela nous suffit pour avancer chacun là où il est vers le même idéal ? En un mot, à quoi tient-il qu’il m’ait offert un jour le CD des “Chansons Révolutionnaires et Sociales” de France, parmi lesquelles “L’Internationale”, “Le soldat de Marsala”, “Le drapeau rouge” ou encore “La grève des mères” ? À quoi tient-il qu’ici, aujourd’hui, dans “Témoignages” il y ait le présent “Libres propos” ?
Tout naturellement, j’ai commencé de feuilleter les “quatre vérités” de Raphaël Géminiani. Page 83… cela vaut le coup qu’on y reste, le temps d’une anecdote. L’ancien champion qui, de 1947 à 1959, a disputé 12 Tours de France, 5 Tours d’Italie, 3 Tours d’Espagne et 1 Tour de Suisse, raconte : “Je me souviens d’une soirée avant critérium où nous étions autour de René Vietto, un personnage du vélo, devenu un héros pour avoir donné sa roue à Antonin Magne maillot jaune dans son premier Tour de France en 1934, à deux reprises, dans le col de Puymorens et, le lendemain, dans le Portet d’Aspet. Un sacré caractère, le père Vietto ! Il y avait là Francis Mirando, de l’équipe Helyett-Hutchinson. Il s’adressa à René : « Monsieur Vietto, vous ne pourriez pas me donner un petit quelque chose, demain je voudrais gagner le critérium ? » . L’autre fut surpris : « Petit con, tu penses déjà à ça ! Va te coucher, je vais y réfléchir ! » . Nous étions au fromage. Il prit un couteau et tailla dans un bloc de gruyère un morceau en forme de suppositoire. Puis il l’enveloppa dans du papier aluminium. Le lendemain, il s’adressa à Mirando : « Tu vois, j’ai pensé à toi, tu te mets ça une heure avant la course et tu vas flamber… » . Ce jour-là, Mirando a remporté le critérium avec du gruyère dans le cul, ce qui prouve bien que tout est dans la tête…”.
Je ne doute pas qu’André Blay a vu juste quand, au terme de sa lettre, il me “souhaite de passer de bons moments en compagnie de “Gem” et du peloton”. Car les quelques 250 pages écrites par celui qu’on appelait à l’époque affectueusement “le grand fusil” entendent « parler et tirer à vue sur le doping, le mal du siècle, et la crise du cyclisme rongé par les affaires à répétition et une image désastreuse »… Croyez moi, il y a des souvenirs qui, lorsqu’ils sont rapportés par des figures de légende, peuvent mettre à nu ces excès et ces extravagances qui heurtent le bon sens et la morale… Et Raphaël Géminiani est une figure de légende.

Raymond Lauret


Un message, un commentaire ?

signaler contenu


Facebook Twitter Linkedin Google plus