Arsène Mastane...

30 janvier 2006

Nous savions qu’il avait quitté l’île mercredi dernier, la précieuse lettre signée par Olivier Degauquier dans sa valise, une lettre qui l’informait que l’action de l’association “A.S. Rome Péi Jazz”, “Handicapée autrement”, était parmi les quatre nominées de la Fédération Nationale “Familles de France”. Nous ne pouvions qu’être attentif à ce qui allait sortir de la rencontre de ce vendredi 27 janvier à Paris, sous les chapiteaux du Cirque Gruss, quelque part dans le Bois de Boulogne.
Arsène Mastane, le remuant président de cette association née il y a plus de 25 ans maintenant d’une petite équipe de football inter-quartiers du Port, a bien reçu des mains du président de la Fédération Nationale du Sport en milieu rural, M. Dominique Bertrand, le “Trophée Capital Santé” décerné au meilleur projet français de la catégorie “Prévention Santé Familiale”.
Je ne résiste pas à un plaisir que j’aurais tort de bouder et, par conséquent, à celui de vous raconter des choses que les moins de 20 ans, comme dit la chanson, ne peuvent pas connaître.
Lorsqu’en 1971, jeune élu sur la liste de Paul Vergès à la mairie du Port, je me retrouve maire-adjoint chargé des sports, je ne connais de ce domaine que ce que le poste de gardien de but à l’A.S. Bois de Nèfles, à l’Escadrille, à la Jeanne d’Arc et dans la sélection universitaire de La Réunion a pu m’apporter : les saines bagarres sur le terrain, les émotions faites de rires ou de larmes que j’ai toujours vécues après match dans la solitude des vestiaires. Et puis, plume à la main, je m’étais aussi essayé, pour divers journaux de mon île, à l’analyse qu’une tête de 20 ans pouvait faire de la face sportive de notre bouillonnement culturel. Paul Vergès, le maire, me sachant sûrement “un peu limite” mais fidèle à un sens de la pédagogie qui veut qu’il aime parier sur les possibles richesses qui dormiraient éternellement au fond de chacun d’entre nous si on n’en favorisait pas l’éveil, Paul Vergès donc me remit une petite liasse de documents qu’il avait ramenés de la F.N.O.M.S.
F.N.O.M.S.?... Fédération Nationale des Offices Municipaux des Sports ???... Jamais entendu parler de ça... Je lus donc non sans intérêt et repérais un titre : "Le sport pour tous et toutes, et le plus haut niveau possible pour chacun...". C’était la réflexion que Jean Guimier, le secrétaire général des OMS de France, proposait aux congressistes de son mouvement à Amiens, en 1968.
La phrase me plut et, avec Albert Mourvaye, derrière lequel Marie, son épouse, applaudissait des deux mains tout en se disant que, pour réussir une pareille ambition, il nous faudrait une large (et profonde) dose de courage et d’idéalisme, nous nous mîmes à rêver d’un O.M.S. qui irait dans le sens de l’utopie proposée par Guimier. Allons-y donc pour “le sport pour tous et toutes, et le plus haut niveau possible pour chacun...”. Rien que ça !
Ce furent donc, entre quelques autres pistes, les inter-quartiers et le fameux trophée du “Fair-Play” remis, parmi les six premiers d’un classement des plus classiques, à l’équipe choisie par toutes celles qui y avaient participé. Le prix du Fair Play ? C’était la plus belle - et de loin - de toutes les coupes, remise par M. le Maire en personne avec, en plus, un voyage. Ce fut Istres, puis Tamatave... dans un but de formation par la découverte d’un pays et l’action humanitaire. Pour que ce Prix soit incitatif, en plus de l’équipe la plus fair-play, un licencié de chacune des autres était du voyage, choisi par ses co-équipiers pour son bon esprit. Ce licencié pouvait d’ailleurs être un dirigeant.
C’est sur cette base qu’Arsène Mastane développa l’AS Rome et transmit la vertueuse image de l’humanisme à d’autres clubs. Son “AS Rome” devint très vite “l’AS rue de Rome Péi Jazz” et le football déversa son enthousiasme raisonné sur tout le quartier, sur ses hommes, ses femmes, ses adultes, ses marmailles...
Cela tombait bien. La municipalité enclenchant la première opération de résorption d’habitat insalubre de l’île dans le coin (la “R.H.I. Saint Ange Doxile”), Arsène sut, sans demander rien à personne si ce n’est à sa foi naissante de militant, se rapprocher de l’aménageur, des entreprises et des autorités pour que tout se passe dans la plus parfaite des harmonies. Et, miracle, ça marcha...
Deux containers occupèrent un petit délaissé de terrain, autour desquels un carré pour la pétanque s’invita. Et puis un local, et puis aussi une vaste varangue, et puis encore des salles d’activités pour les femmes et les jeunes, une clôture bien sûr. Et des hommes et des femmes, conquis et volontaires pour jouer un rôle...
“La Rue de Rome”, petit à petit, va influencer d’autres quartiers de la ville et de l’île. Et, plus de 25 ans après, l’éducateur effronté, toujours volontaire pour faire ce qui est infaisable et inviter celui dont “on est pourtant sûr” qu’il ne viendra pas, Arsène Mastane donc continue, de moins en moins jalousé, de plus en plus consulté... Il continue à bousculer, à rassurer, à faire s’interroger.
Ce vendredi 27 janvier, il était applaudi, écouté et félicité à Paris.
Il y avait là ministres, médiateur de la République et députés, entre autres personnalités. Chapeau l’ami...

R. Lauret 


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