C’est alors qu’il dut se dire encore…

30 mars 2009

Ce vendredi 27 mars. Les premières lueurs du jour attendent tranquillement que les réverbères de la Ville du Port finissent par se coucher. Sur le bord du boulevard qui longe l’océan, un homme marche. Il marche d’un pas ferme, histoire sans doute de se dire qu’à son âge, cet exercice est le garant que les années qui lui restent à vivre pourront bien se passer. Le bâton sur lequel il s’appuie lui assure une belle détermination dans l’allure. Son regard porte loin. On dirait qu’il profite de la quiétude du moment pour passer en revue ces temps pas si lointains où il était aux affaires dans le monde syndical tout en occupant de bien lourdes responsabilités politiques, à "Témoignages", au parti, comme élu au Conseil régional ou au Conseil général. Ces temps où, chaque jour, nous pouvions le rencontrer sur les fronts du travail, de la réflexion, de la proposition, pour aboutir aux plus justes et aux meilleurs accords entre ceux qui doivent demander et ceux qui peuvent accorder. Et lorsque ce vendredi matin je le croise, je ne doute pas qu’il s’interroge, comme au bon vieux temps.
Comment, doit-il se dire, comment, par exemple, un Jean-Bernard Avanandé, cet entrepreneur bien entreprenant, a-t-il fait pour se retrouver à notre époque en prison ? Notre système financier qui incite au crédit et donc l’achat est-il à ce point conditionné par l’argent et l’enrichissement faciles qu’un citoyen qui est sous contrôle judiciaire, comme Avanandé, peut constater qu’on lui déroule le tapis rouge pourvu que, lui, se contente de présenter des lettres de change bidons, des “garanties” notariales fausses, ou des chèques en bois tirés sur un compte dans une banque de la place sans qu’on lui demande d’attendre quelques instants, le temps qu’on fasse un (pourtant réglementaire et simple) contrôle ? Cet Avanandé, escroc ou aventurier à n’en pas douter, ne serait–il pas aussi une victime tentée puis manipulée par les animateurs chargés de booster à n’importe quel prix l’outil financier ? D’où l’interrogation du vieil homme encore droit pour son âge : « Avanandé ne peut pas avoir commis ces forfaits tout seul, sans de grossières complicités haut placées. Combien d’autres vont bientôt le rejoindre en prison ? ».
Et puis, doit-il encore se dire, les camarades ont-ils bien noté la toute dernière déclaration du Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Yves Jégo, lequel, à propos des Antilles, vient de confier à “l’Express” que « le Premier ministre voulait éviter la caricature qui aurait laissé croire que l’Etat avait la possibilité de financer les augmentations de salaire dans les entreprises »  ? Car, si tout mot a un sens, quand on parle de "caricature à éviter" pour l’Etat, il faut bien admettre qu’il en est de même pour les autres collectivités !
C’est alors que mon vieux camarade dut se dire aussi que, décidemment, l’approche syndicale de la vie des couches laborieuses a bien changé de nos jours. A l’époque, chaque syndicat menait ses luttes dans l’entreprise. Aujourd’hui, ce "COSPAR", avec ses faiblesses, ses tâtonnements, mais aussi son bouillonnement d’idées, sa détermination et son souci de se corriger pour avancer, ce "COSPAR" va bien plus loin dans la manière de poser les problèmes. Et notre marcheur solitaire d’imaginer qu’une demande de « modulation des efforts des entreprises », selon leur taille, ne dénaturerait nullement l’accord que cet étonnant "Collectif" qui — c’est assez extraordinaire — regroupe des organisations syndicales à côté de plusieurs partis politiques et de nombreuses associations va sûrement, dans les jours qui viennent, soumettre à l’opinion.
Durent lui revenir les chiffres que vient de publier le mensuel du Secours Catholique dans son n°633 de ce mois-ci. En France métropolitaine : 1 million 140.000 bénéficiaires du R.M.I. (384 euros par mois en moyenne) ; 7 millions 136.000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté ; location d’un 3 pièces : de 504 à 1.386 euros selon que l’on en trouve à Limoges, Brest, Strasbourg, Lille, Marseille (7ème) ou Paris (15ème). Auxquels chiffres viennent s’accrocher les images de ces usines qui se ferment et de ces mères et pères de familles au chômage, celles de ces marins d’origine russe, roumaine, ukrainienne ou philippine qui, dans le port d’Anvers, ont dû se mettre en grève sous des banderoles qui apprennent aux populations belges de là-bas que ces travailleurs ont « besoin de leurs salaires » parce que « leurs familles ont faim ».
Sûr que notre ami dut alors penser qu’il importe qu’on imagine le monde sur d’autres bases que celles qui l’ont mené là où l’on voit. Sûr qu’il pensa que cette préoccupation doit être l’affaire de tous, qu’ils soient de droite ou de gauche, pourvu qu’ils aient compris que « ce modèle était dépassé ».
Notre ami Bruny Payet se rappela-t-il soudain que cette dernière expression était aussi de Nicolas Sarkozy ? Il ne put s’empêcher un léger sourire. Pour lui, cela s’imposait. Et, sereinement, il poursuivit son chemin de promeneur solitaire.

R. Lauret


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?

Messages

  • En lisant cette chronique je me disais : ce promeneur solitaire peut être Fabien Lanave, encore que je ne lui connaissais pas de mandat départemental ou régional.
    Raté, la chute donna tort à mon intuition.
    Il est vrai que je n’ai pas l’ honneur de connaître personnellement M.Bruny Payet.

    "Libres propos" reflète un point de vue nuancé,original et humain sur des sujets divers et une actualité souvent complexe. C’ est pour cela que j’ apprécie sa lecture.


Témoignages - 80e année


+ Lus