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par le Dr Raymond Vergès

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C’était l’autre samedi, pour ce qui était l’occasion de nous souvenir d’un simple anniversaire…

mardi 21 décembre 2010

Trente-six heures après, une pleine journée et deux nuits plus tard donc, j’ai toujours, j’ai encore au fond des yeux et au plus près de mon cœur les mêmes interrogations qui, tout au long de l’heure et demie que dura la rencontre poétique qui réunit l’autre samedi, quelque part à Saint-Paul, Boris Gamaleya et Gilbert Aubry, n’ont pas cessé de résonner au fond de moi.

Tout commença par ce que je ressentis comme une agréable surprise. Celle qui nous invitait ce soir-là à ouvrir plus grand que d’habitude la fenêtre de l’âme qui veille dans nous, nous les quelque cent cinquante personnes qui occupaient les sièges de la petite salle de l’Espace Leconte De Lisle, celle-là n’était point alors maire d’un certain Conseil municipal et encore moins députée de je ne sais quelle république venue prononcer un quelconque discours d’accueil ! Elle était, celle-là, une voix, une prière, une émotion dont j’ai pensé, quelques longs moments après encore, qu’elles pouvaient m’inviter à me rappeler que j’aurais bien tort d’oublier que sommeille en chacun de nous notre part d’éternité, et donc d’humilité. Se souvenir de ceux et de celles qui ont su nous émouvoir lorsqu’ils ou lorsqu’elles, il y a tant et tant d’années et sous toutes les latitudes, laissaient glisser sur le papier ces mots conjugués à d’autres mots qui nous font voir « de nos yeux le cosmos réconcilié s’embraser jusque dans les feuilles des arbres flamboyant au soleil couchant, au soleil levant »…, ainsi nous amener à nous préparer à accueillir les invités d’un soir pour une communion qui pourrait être solennelle, c’est ce qu’il lui fallait dire, c’est ce qu’il lui fallait être en cet instant. Elle sut dire. Elle sut être…

Tout se poursuivit par un spectacle comme j’ai, pour ma part, peu vécu dans ma vie.
Philippe Barret nous y tournait le dos. Peut-être afin que nous appréciions encore mieux, sans doute pour que nous vivions encore plus cette merveilleuse harmonie qu’il sait lui aussi créer et qui inondait la sobre scène où son « sextuor à cordes » avait pris place, autour des voix de Sylvie Espérance, d’Isabelle Martinez et de Didier Ibao, pour murmurer dans une escapade buissonnière et amoureuse ce que Boris Gamaleya et Gilbert Aubry ont dit de plus profond et de plus interpelant, dans des textes qui font notoriété, que ce soit « Vali pour une reine morte », « Piton la nuit » ou « Lumière sur Rivière Noire ». J’ai vécu. J’ai apprécié…
Cependant, ici, je vous dois un aveu : j’écoutais, j’entendais, je me délectais de tout ce qui montait jusqu’aux travées et jusqu’au siège où j’étais. J’écoutais, entendais, me délectais, mais sans chercher à vouloir départager la musique des mots, à supposer que ce soir-là, l’une et les autres pouvaient, comme c’est souvent le cas, ne point être œuvre unique. J’étais un des quelques témoins privilégiés à qui, pour un spectacle unique, était offert un chef d’œuvre. Un vrai chef-d’œuvre...
Et je me suis senti coupable de n’avoir dans ma vie que peu lu Boris Gamaleya. Peut-être parce que j’ai toujours cru qu’il ne m’était point accessible. Peut-être aussi, peut-être surtout, parce que je n’ai pas cherché à comprendre sa douleur dont on m’a dit qu’elle pourrait me laisser froid ou bien qu’elle pourrait me bouleverser. Pourrais-je aujourd’hui me rattraper ?
Le dialogue à trois et de haut niveau que Patrick Quillier, évidemment poète lui aussi, avait eu entre temps avec Boris et Gilbert mériterait qu’un maître en la matière l’écrive et le publie. J’y ai senti, sans doute même ressenti, combien les conversations que le poète imagine en regardant les horizons que la vie nous apporte sont des traces qui peuvent nourrir notre capacité à aller plus loin que la distance que nous autorisent nos seuls pas d’humains, jusque nos rêves les plus grands et les plus beaux. Ceux-là mêmes dont Lénine, sur les pas du Christ, a pu dire qu’ils sont les plus sûrs porteurs de nos plus belles révoltes.
Trente-six heures après, j’ai toujours au fond de mes réflexions les mêmes interrogations. Au point de m’être longuement demandé si elles valent de vous être proposées dans le cadre de mon “libre propos” de ce jour et si Boris Gamaleya ne mérite pas mieux pour ses quatre-vingts ans célébrés ce soir-là…

Raymond Lauret


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