Dans le peu que la vie lui a offert

27 décembre 2005

Pierre Santot, ce sociologue dont le propos impose à ceux qui l’écoutent de prendre les chemins de l’humilité, a eu envie un jour d’écrire que "les gens de peu" sont comme ceux de la mer, de la montagne ou des plateaux. "Ils possèdent un don, celui du peu, comme d’autres ont le don du feu, de la poterie, des arts martiaux, des algorithmes".
Gens de peu... "Le peu, nous dit encore Santot, ne présuppose pas la petitesse ou la mesquinerie, mais plutôt un certain champ dans lequel il est possible d’exceller"...
Quand on m’a appris que vous nous aviez quittés, j’ai pensé, chère Ritta Picardo, à ces gens, “de peu”, qui ont su si souvent manifester de la grandeur dans le peu que la vie leur avait offert et qui, dans cette grandeur et dans ce peu, ont si bien marqué leur passage. Santot dit aussi que notre société, que l’on a fait normalisée et hiérarchisée, marche à coups de décrets ou, hier, d’ordonnances ou d’édits pour aboutir à ses décorations ou à ses blâmes. Cette société-là n’avait pas beaucoup de chance de croise votre route. C’est que, bien chère Ritta, dans le quartier où vous habitiez - au milieu des vôtres, votre famille et les autres, les camarades - la loi, c’était les élans de solidarité entre gens, “de peu”, qu’une increvable espérance unissait, dans leur Cœur Saignant et leur cité ouvrière. La loi, c’était l’“Internationale” qu’ils entonnaient les 1er mai, le regard rivé vers l’horizon à conquérir depuis que, le 19 mai 1946, deux députés avaient ouvert la voie et pris la tête d’une longue, longue marche.
Vous nous avez donc quittés ce lundi, au lendemain de Noël... Quatre-vingt-quatre années bien remplies... Un regard qui savait donner de la voix, de la colère ou de l’émotion... de la douceur... l’approbation ou l’indignation aussi.
Vous m’aviez invité... un soir, pour dîner... Nous aurions, je crois, passé un chouette moment autour de la table et de ce plat dont vous connaissiez combien je suis gourmand et que vous saviez, m’avait dit votre fille et ma collègue Michèle, si bien préparer.
Votre longue maladie ne m’a pas permis cette rencontre qui va, je le sais, beaucoup me manquer...
Hier soir, lorsque je suis venu vous dire un dernier au revoir, sans doute l’avez-vous ressenti, j’étais comme celui qui ne veut pas oublier de quel monde il vient ni dans quels coins il a grandi, apprenant à prendre ma dose de conscience de l’immensité des responsabilités qu’il appartient à moi aussi d’assumer.
J’étais comme tant d’autres de ces Portois de cœur qui ont vécu, dans les ruelles que vous aussi, et bien avant nous, avez parcourues, leurs premières épreuves de vérité.
Aux gens, “de peu”, comme vous, nous sommes plus nombreux qu’on le pense à devoir beaucoup. Merci à vous, merci pour tout...

R. Lauret


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