De quoi je me mêle ?

7 novembre 2007

J’ai pensé - mais de quoi je me mêle, moi qui n’en suis pas ? - que le petit article signé “E.M.” et paru hier en page 17 du “Quotidien ne méritait pas d’être coincé entre deux placards de pub et un papier consacré à la revendication du Snetaa qui« réclame plus de lycées professionnels » , un peu comme si on voulait qu’il passe inaperçu.
De quoi je me mêle, moi qui n’en suis pas, à vouloir porter à la connaissance des lecteurs de notre journal ce que nous rapporte donc “E.M.” ?
De quoi s’agit-il ?
Une petite poignée de journalistes - peut-être une grosse quinzaine - s’est réunie le lundi 5 sur le parvis de Champ Fleuri, là où “les Droits de l’Homme” ont leur esplanade.
Pour ces hommes et femmes de la plume et du micro, il s’agissait de dénoncer « les attaques diverses » auxquelles est soumise leur profession, une profession dont l’un d’eux dira même qu’elle « est en danger » .
Ce constat, on croyait en avoir fait le tour avec « les menaces que constituent les mouvements de concentration des médias, la détérioration des conditions de travail, la précarisation des journalistes, les atteintes judiciaires à la protection des sources » (ou encore) « la remise en cause de certains piliers du statut des journalistes, dont les clauses de cession et de conscience... » .
On croyait tout connaître. Et on était loin du compte. C’est Jean-Noël Fortier qui, en précisant certains points pour qu’ils soient portés devant le public, montre que le virage pris a déjà largement mené à « un appauvrissement intellectuel » de sa profession. Ecoutons-le.« On a tendance à nous faire faire, ou à faire, ce qui est le plus facile, le plus immédiat, le plus spectaculaire, le plus sanguinaire... ». Ce serait là une véritable « aspiration par le bas... », car, ajoute-il, « ... de plus en plus, on va au plus pressé, en passant les informations sans avoir les moyens de les vérifier... »  !
Est-ce à dire que « les mouvements de concentration » ont pour logique de faire passer la marchandisation avant tout et qu’un organe de presse est aujourd’hui devenu un produit dont l’objet premier est de rapporter gros à ses actionnaires ? On est tenté de croire que la guerre économique a bel et bien pris le pas sur la vraie indépendance, en dehors de tout raccourci, du métier.
Pourtant, il y a dans notre presse quotidienne réunionnaise - voire hebdomadaire - d’excellents journalistes. Ce qui nous procure parfois d’excellents articles ou billets. De brillants même.
Mais le cri d’alarme (d’alerte ?) poussé lundi par Jean-Régis Ramsamy, Steeve-Henry Peeters, Jean-Noël Fortier et d’autres encore est révélateur d’une tendance lourde bien ressentie dans notre société et qu’illustre parfaitement Benjamin Barber quand il souligne que, « aujourd’hui, pour survivre, le capitalisme transforme les consommateurs en acheteurs compulsifs et éclipse le citoyen au profit du client... ».
Du coup, en écoutant Jean-Noël Fortier, on croit entendre Georges Clémenceau qui, parlant de « l’humanitaire civilisateur du colonialisme » , invitait les gens de son époque à ne « pas essayer de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation » .
Reste qu’une question vaut la peine qu’on se la pose : “le client” n’achète-t-il pas ce qui est le plus facile, le plus immédiat, le plus spectaculaire et le plus sanguinaire, plutôt que ce qui va au fond des choses ?

Raymond Lauret


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