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par le Dr Raymond Vergès

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« Don Quichotte », oui, pourquoi pas. Quoique ! Mais « malin et fin politique », non, non et non !…

lundi 9 janvier 2012

Ce qui se passe autour de ce qu’il est convenu d’appeler « l’après ARAST » met actuellement plusieurs réalités en relief.
La première de ces réalités, et nous n’y resterons pas cent sept ans, aura été l’incroyable capacité montrée par une certaine personne qui n’avait pas hésité à l’époque à se draper dans les habits de la syndicaliste outragée pour ensuite jouer à la grande dame révoltée. Quelques passages à la télévision et quelques articles de journaux plus tard, son coup réalisé, elle s’en alla rejoindre son maître à penser pour devenir vice-présidente du Conseil Régional nouveau où elle s’est vue promue à un haut rang. L’Histoire retiendra que, question choix de son syndicat d’alors, elle avait osé bien plus que l’insolence : elle sut être indécente. Son triste exemple sera-t-il rejoué ?
La seconde de ces réalités tient en l’engagement qu’y a pris, il y a quelques jours maintenant, un homme dont je ne saurai dire, parce que je ne connais pas grand-chose de sa CFTC, s’il est un syndicaliste authentique et éclairé, mais dont je devine qu’il est un militant pétri de généreuses convictions et soucieux de mettre ces dernières en acte avec ses agissements.
Paul Junot se trompe peut-être dans certaines des accusations qu’il porte contre l’institution qu’est le Conseil Général . Il s’est semble-t-il gouré dans, par exemple, des chiffres qu’il a lancés. Et l’avoir reconnu après coup n’efface pas la préjudiciable précipitation qu’il a manifestée dans l’exercice de ses responsabilités. Et puis, le procès qu’il fait à certains élus du Département n’est pas toujours juste car, en permettant l’amalgame, il méconnait les actions que ces derniers, dont Michel Dennemont , ont pu mener parallèlement à ce qui s’était engagé officiellement. Parmi les élus de notre pays, il n’y a pas que des hommes et des femmes sans cœur et sans jugeote. Et entendre, sans rien dire, des élus opposants d’aujourd’hui affirmer qu’avec eux les choses se seraient passées différemment alors qu’hier, ils étaient encore dans la majorité, cela donne une situation au milieu de laquelle le quiproquo s’invite fatalement.
Ceci étant dit, comment rester silencieux et insensible quand un homme se met en grève de la faim alors qu’il n’est pas personnellement concerné par ce qui se passe ? Il est extrêmement rare de trouver un cas de dirigeant de syndicat ou de parti politique qui épouse le combat de salariés (salariés qui ne sont pas forcément membres de son organisation) au point d’accompagner certains d’entre eux dans cette épreuve particulièrement dure à supporter qu’est le refus de se nourrir. Pour cela, seulement pour cela, je dis toute ma sympathie à Paul Junot. Et cela, même s’il peut se tromper dans l’objectif à poursuivre dans cette affaire . Et je ne suis absolument pas d’accord avec ceux qui verraient dans son comportement celui d’un « malin et d’un fin politique ». Paul Junot me semble être plus proche de l’idéaliste qui ne supporte pas l’injustice dont peuvent être victimes les autres, ceux-là fussent-ils devenus une minorité après que la situation de la grande majorité aient été réglée. « Don Quichotte », oui, pourquoi pas. Quoique ! Mais « malin et fin politique », non, non et non !
Don Quichotte ?! Miguel de Cervantès en avait fait un personnage qui se battait contre des moulins à vent. C’est à dire contre le néant. Avec ce qui se passe actuellement, nous ne sommes pas dans la même perspective. Car l’engagement d’un Paul Junot, même s’il n’en est pas pleinement conscient, pourrait déboucher sur toute autre chose que le combat perdu d’avance engagé par l’hidalgo Don Quichotte flanqué de son écuyer Sancho Pança.
Le Droit qui s’impose aujourd’hui aux collectivités n’autorise pas ces dernières à adopter a priori un positionnement qui irait dans le sens d’une conception de la situation où l’humain serait pris en compte en premier lieu. Aujourd’hui, c’est le Droit qui dit et rend la justice. Tout le temps qu’il n’a pas rendu son jugement, la justice n’est pas dite. Cela s’explique sans doute à cause des abus de toutes sortes qui ont été vécus ici et là dans le passé. Et la question que l’on est en droit de se poser c’est de savoir si une telle position est tout le temps juste. La question, comme l’a dit Jules Bénard par exemple, est de savoir si lorsqu’on est dans des situations aussi graves, « ce qui importe d’abord c’est l’aspect humain ».
L’histoire qui suit, je l’ai déjà racontée ici. C’était en Juillet 1981, au Port. Il fallait construire 15 salles de classes pour la rentrée scolaire qui arrivait 9 semaines après. L’aubaine de 15 postes que la ville pouvait obtenir venait de tomber de la bouche de l’Inspecteur de circonscription de l’Education nationale. Nous n’avions pas le temps, ni de réunir dans des délais légaux le Conseil Municipal, ni celui de lancer légalement une consultation d’architectes et d’entreprises, ni de trouver les sous. Il fallut, il fallait faire vite. Nous fîmes vite. Une entreprise locale fut consultée en quelques heures. Les panneaux préfabriqués destinés à un projet de logements sociaux pour la ville se révélaient adaptés pour donner des salles de classes tout à fait conformes. Le chantier démarra deux jours après. Les trois quotidiens de notre île, chacun par le biais d’un de leurs journalistes, furent mis dans la confidence. J’en touchais un mot à Raymond Cazal, leader de l’opposition au Conseil municipal. Tous jouèrent le jeu de la confidentialité partagée.
Sept semaines plus tard, pour un prix quatre fois moins élevé que pour un projet classique, l’école, son réfectoire et ses sanitaires étaient livrés. Et la rentrée des classes put avoir lieu au Parc de l’Oasis pour quelques 450 élèves supplémentaires.
Nous nous empressâmes alors d’informer l’autorité de tutelle de ce que la municipalité avait dû entreprendre. Nous précisions que nous allions maintenant tout régulariser. Monsieur Michel Levallois alors Préfet de La Réunion , par courrier en date du 16 Septembre 1981, répondit au Maire du Port ceci : « Vous avez bien voulu m’informer des dispositions que vous avez prises pour construire dans des délais extrêmement courts, une douzaine de salles d’activités afin d’assurer dans de bonnes conditions la rentrée scolaire…Je vous remercie de m’avoir informé de cette réalisation qui, je n’en doute pas, pourra servir d’exemple à d’autres maîtres d’ouvrage confrontés à des délais d’exécution particulièrement courts…Je serai d’ailleurs heureux, lorsque je me rendrai dans la commune du Port, de visiter ces installations ».
Moralité : il y a des situations où l’aspect humain importe d’abord. Sans jamais le dire, un Préfet de la République l’a un jour admis. Sans jamais le dire, mais en se disant heureux qu’il fut ainsi…

 Raymond Lauret 


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