Du droit de vivre à la liberté d’assassiner...

11 septembre 2006

Sans vouloir forcer le trait d’un contexte qui n’est que trop sanglant, force est de constater que l’agression violente qui a coûté la vie à Fabiola Silotia pose des questions qui demeurent pour l’instant sans réponse.

Bien entendu, personne ne peut sérieusement prétendre mettre derrière chaque personne en danger un gendarme ou un juge. Bien entendu, comme l’a déclaré le procureur Muguet, "une société sans risque, cela n’existe pas". Bien entendu, aucune femme - ni aucun homme - ne pourra jamais prétendre être à l’abri d’un brusque éclat de colère, de désespoir ou de folie, qui déclenche un geste fatal et entraîne la mort. Bien entendu, Monsieur le Procureur, bien entendu...

Mais est-il bien question de cela ? S’est-il agi, en l’espèce, d’un banal concours malheureux de circonstances ? Y a-t-il eu "geste ayant entraîné la mort sans intention de la donner", comme dit le code ? Y a-t-il eu meurtre ? Y a-t-il eu assassinat ? L’enquête, comme on dit, devra s’attacher à le découvrir, et ce sera à l’instruction, comme on dit encore, de procéder à la recherche de la vérité.

Mais foutor, derrière l’hypocrite fatras des formules juridiques toutes faites, usées jusqu’à la corde, c’est une consternante, une scandaleuse réalité qui apparaît à tous les Réunionnais. Une femme menacée, humiliée, harcelée, battue pendant des mois et des années par un mari jaloux, violent, terriblement dangereux, a multiplié en vain les plaintes, fourni des certificats médicaux et des témoignages de sa famille et de ses proches, sans que l’institution judiciaire ni l’appareil policier n’apportent de réponse crédible à ses appels, ni n’empêchent son agresseur de mettre ses menaces à (c’est le mot) exécution...

Et il ne s’agit nullement d’un fait imprévisible ou isolé, puisque le nom de Fabiola Silotia ne fait que s’ajouter au martyrologe déjà long, bien trop long, des femmes et jeunes filles réunionnaises immolées sur l’autel des violences conjugales.

Que fait la justice ? Va-t-elle se cacher, honteuse, au fond de quelque trou de souris ?
Vous n’y êtes pas, mais alors pas du tout !
La justice proclame, la tête haute, qu’elle n’y peut rien. Car "on ne s’est pas suffisamment intéressé à la prise en compte du mâle réunionnais", déclare sans rire à la presse le procureur de Saint-Denis. Tiens donc. Il faudrait un code pénal spécifique, adapté au comportement des mâles locaux, pour protéger leurs femelles de leurs égarements meurtriers ? Joli sujet d’enquête pour nos ethnologues, mais qui ne saurait toutefois nous faire oublier la simple réalité.

Rappelons-nous.

Quand, au cours d’un défilé du 14 juillet, un jeune mâle métropolitain un peu azimuté a tiré quelques plombs à moineaux en direction du Président de la République, n’a-t-on pas vu surgir sur-le-champ une multitude de policiers qui l’ont ceinturé, menotté et bouclé, avant de le remettre à la Justice et à la Psychiatrie ? Le Président se porte comme un charme, merci pour lui.
Quand le Ministre de l’Intérieur prend ses vacances d’été près d’Arcachon, n’est-il pas, lui et sa famille, entouré, protégé, escorté, par une garde prétorienne de fonctionnaires en uniforme et en civil ? Monsieur le Ministre a une patate d’enfer, soyons rassurés, et il imagine même son l’avenir en bleu-blanc-rouge. Quand un ex-maire de Paris s’est vu menacé d’un mandat d’amener pour fraude électorale et corruption, le Ministre de la Justice d’alors n’a-t-il pas dare-dare expédié un hélicoptère dans l’Himalaya, à la recherche d’un juge d’instruction plus compréhensif ? Monsieur l’Ex-Maire est frais à la rose, Dieu soit loué (comme l’hélicoptère dont il n’a même pas eu à régler la facture).

Bref, des moyens, il y en a bien, et de fort importants, financés rappelons-le par le contribuable... Ce qui est en revanche défaillant, c’est le choix de les utiliser ou non, laissé à l’appréciation de l’autorité judiciaire locale, et de la Chancellerie, auprès de laquelle elle prend ses ordres. Et sur quoi fonde-t-elle ses choix ? Le procureur de Saint-Denis l’a dit très simplement à la presse : "L’action de la Justice, ce n’est pas la garantie de la survie de la victime".

On croit rêver. Chères victimes, vous n’aurez de droits, sachez-le, qu’après votre survie, mais ni avant, ni pendant. Dans ces deux derniers cas, vous pourrez toutefois remplir le formulaire de réclamation adéquat et l’adresser correctement affranchi à Monseigneur Aubry si vous aspirez à la vie éternelle, ou à Saint Expédit si vos prétentions se bornent à espérer la vie immédiate.

Cet aveu d’impuissance est désespérant s’il est fondé, scandaleux s’il ne l’est pas. Il interpelle, il percute, il stigmatise jusqu’au plus profond d’elle-même la société réunionnaise en ce début de 21ème siècle.

Devrons-nous donc, en contrepoint des escadrons de la mort qui ont sévi dans certains pays, inventer des “Escadrons de la Vie” chargés de la protection des citoyens et des citoyennes ? Est-ce trop demander aux pouvoirs publics de s’employer à mettre en place une politique d’éducation, de prévention et de répression qui fasse intervenir l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs pour faire obstacle au déferlement des violences faites aux femmes ?
Face au drame de Saint-Benoît, nous devons être nombreux à nous rappeler cette phrase de Saint-Exupéry : "Etre homme, c’est être responsable. C’est connaître la honte face à une misère qui ne semblait pas dépendre de nous".
Aujourd’hui, Monsieur le Procureur, ne pensez-vous pas que seule l’action peut effacer la honte ?
Après tant d’autres, après trop d’autres, Fabiola Silotia est dans nos mémoires.

Raymond Mollard


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Messages

  • Votre article me touche particulièrement, moi qui ai appris ce matin qu’une de mes amies, mère de 2 enfants et sans emploi, se prépare à fuir la Réunion après que son ex conjoint ait menacé de la tuer, elle et ses enfants.

    Je suis révoltée et choquée, je ne sais vers qui me tourner, vers qui l’orienter. Ce fou l’a prévenue : si tu vas voir la police, je n’aurai plus rien à perdre et je m’occuperai de toi dès la sortie de la garde à vue.

    Quel est ce pays où on laisse des hommes se comporter ainsi ? Quel est ce pays où une femme doit tout quitter pour partir à l’autre bout du monde, pour sauver sa peau et celle de ses enfants ?

    Merci de continuer à en parler afin d’éveiller les consciences...


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