Emmanuelle... Sœur Emmanuelle

2 février 2006

L’histoire que je vais vous raconter paraîtra un peu “juste” à ceux qui sont très intelligents et profonde à ceux d’entre nous qui ont le sens de l’humilité et qui savent donc que, devant l’infini de la vie, nous sommes peu et bien petits.
C’est Madeleine Cinquin, née en 1908 quelque part en Belgique, qui l’a vécue.
C’était en septembre 1914, en pleine première guerre mondiale. Un dimanche... Madeleine n’a pas encore six ans et se rappelle. Avec son petit frère Daniel, elle va à la plage, non loin de la villa où la famille Cinquin réside en ces derniers beaux jours de l’été du Nord européen.
Jules, le père, est tout fier de tenir ses deux petits par la main. Lucie, la gouvernante, les accompagne...
Là, sur le sable à Blankenberge, près de la célèbre station balnéaire d’Ostende, la plage est quasiment déserte. Deux ou trois petits groupes de touristes s’y trouvent. La mer, comme on dit dans toutes les langues francophones du monde, est démontée.
Jules installe Daniel et sa grande sœur sur la grève, leur explique sous l’œil approbateur de Lucie l’art de construire des pâtés de sable qui, s’ils sont bien disposés, peuvent devenir château avant qu’une vague vienne s’y mourir et emporter le bel édifice si patiemment monté. Là-dessus et confiant devant le bonheur évident de ses deux petits, Jules s’en va dans l’eau encore tiède et se lance au large, comme il aime si bien le faire, lui l’officier de réserve se sachant mobilisable à tout moment puisque, à ce qu’on dit, l’armée allemande avance...
Madeleine raconte la suite, dans un petit livre qui est paru il y a un an à peine : "Tout à coup, alors que Daniel et moi jouions dans le sable sous l’œil vigilant de mademoiselle Lucie, des dames se sont approchées de nous en criant : “Les enfants, appeler votre papa ! Il va trop loin ! Il n’y a plus de maître nageur ici !”... N’y comprenant rien, nous avons continué nos jeux. Et puis, voilà soudain une voix qui s’élève... il me semble l’entendre encore : “Les pauvres petits, leur papa a disparu...”". Et Madeleine poursuit : "Je vois encore mademoiselle Lucie se dresser et regarder à son tour pour voir qu’en effet, il avait disparu. Elle nous prit par la main pour nous emmener en vitesse. J’ai crié : “Papa, papa !”. Mais je n’avais plus de papa. En quelques secondes tout avait basculé".
Madeleine deviendra quelques années plus tard Emmanuelle... Sœur Emmanuelle, de la congrégation de Notre-Dame-de-Sion. Elle s’installa en 1971 dans les bidonvilles du Caire pour y combattre la misère et l’analphabétisme.
"Ce jour là, il m’est resté le sentiment que le bonheur et la joie peuvent exister, mais que, tout à coup, en une seconde, cela peut finir", a-t-elle confié, il y a deux ans à peine, sans doute à notre attention à tous.
Cette bien simple histoire, je vous avais prévenu, aura semblé un peu “juste” à certains. Mais j’ose croire qu’elle apparaît profonde à ceux qui ont choisi de vivre ce qui dure, en faisant vivre les autres autour de soi, en leur donnant de cette joie qui se bâtit pour résister à nos petits riens du quotidien, et cela quelle que soit la place que nous occupons dans notre société...

R. Lauret


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