En relisant Manuel Marchal

28 février 2005

(Page 2)

Il est fort utile de relire son journal, le soir, alors que les bruits de la journée s’éteignent et libèrent quelques espaces de votre cerveau pour d’ultimes réflexions avant que la nuit vous plonge dans un repos bien utile.
Samedi donc, je relisais “Témoignages” et plus particulièrement le (toujours) excellent édito de Manuel Marchal.
Relevant que les grands de la planète trouvent que la Chine commence à trop jouer... dans leur cour de grands, Manuel ironise sur la situation créée et favorisée par ceux-là mêmes qui se retrouvent pris à leurs propres pièges. C’est tout de même eux qui ont choisi de délocaliser nombre de leurs centres de productions en Asie du Sud-Est, en Chine et tout alentour.
J’ai pu le voir, de mes yeux vu, comme on dit : entre la ville de Tianjin et son port par exemple, il y a des dizaines et des dizaines de milliers d’hectares de zones industrielles. Qu’y voit-on ? Les grandes marques américaines, allemandes et autres s’y sont installées. Motorola - leader s’il en est dans la téléphonie - a étalé, sur 500 hectares (oui, vous avez bien lu : 500 hectares) ses usines. Cela crée de l’emploi (en Chine et pour les Chinois !), cela crée de la richesse (à cause des taxes perçues par la Chine !). Cela fait marcher l’aéroport et le port de Tianjin (deux énormes outils qui fourmillent de mouvements vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans les belles allées ombragées et fort éclairées), grâce à une exportation continuelle et toujours en expansion.
M’intéressant à l’industrie de la bicyclette, j’ai pu voir l’usine (une des cinq de Tianjin !) qui fournit Décathlon (la célèbre marque française) en pièces détachées pour ses usines de montage qui ne sont plus à Roubaix mais qui ont été délocalisées en Pologne ! Pour la petite histoire, un très bon V.T.C. (vélo tous chemins) qui s’achète à La Réunion aux alentours de 1.200 euros se trouve à Paris - je l’ai vérifié - pour moitié prix. Ce V.T.C. s’achète à Tianjin pour 50 euros !
Pendant que l’Occident glisse petit à petit sur la voie de la consommation, la Chine (comme d’autres pays) occupe celle de la production. Comme l’écrit fort justement Manuel Marchal, "la Chine, membre de l’O.M.C. depuis 2001, s’est préparée à cette ouverture des marchés, favorisant les investissements dans le secteur du textile en particulier... Et aujourd’hui elle recueille le fruit de ses efforts".
Et notre ami d’enfoncer le clou : "Pourquoi ceux qui ont mis en place l’O.M.C. appellent-ils maintenant un des États membres à ralentir ses exportations ?"
La démarche que le commissaire européen au Commerce, M. Peter Mandelson, entame actuellement à Pékin pour demander aux autorités locales de freiner quelque peu leurs exportations dans le textile risque fort d’être reçue avec des sourires en coin. On peut même parier que la légendaire politesse chinoise sera... de rigueur, et que M. Mandelson se verra répondre que ce sont ceux qui ont inventé l’ultra-libéralisme, la libre concurrence et ce que Jack Bizlall - toujours dans “Témoignages” de samedi en page 16, dans des propos recueillis par Nastassia - appelle la politique de "la consommation du superflu", qui ont choisi la Chine (ou l’Inde) pour s’y installer et se développer. Qu’ils assument donc !
Il est intellectuellement réconfortant de rappeler ici que dans sa démarche vis-à-vis de la Chine, le président de la Région Réunion a posé comme postulat que des industries chinoises s’implantent à La Réunion, au contraire de l’Europe qui a choisi de délocaliser là-bas. C’est une démarche évidemment plus complexe. Mais elle a le mérite, à très court terme, de poser à Paris, à Bruxelles et à l’OMC les bonnes questions pour aller vers une vraie solidarité et un vrai développement dont profiterait le petit pays que nous sommes. Comme quoi, on peut n’être que l’île de La Réunion et se montrer soucieux de voir plus loin que certaines grandes puissances.

R. Lauret


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