Ce samedi 20, place de l’église de Saint-Leu. Il est quatorze heures. Quatorze heures pile. L’exactitude que l’on prête aux rois. La foule est là, recueillie et digne, la tête haute et le regard grave.
Toute sa vie durant, il y a tenu à cette exactitude, le père Ignace, lui qu’on appelait aussi Joseph ou bien Serge, peu importe. Il y a tenu toute sa vie durant à cette notion de respect de l’heure donnée, pour lui synonyme de respect dû aux autres.
Ce samedi 20, à quatorze heures forcément donc, tous ceux et celles qu’il a connus et aimés, ceux et celles aussi qui l’ont connu et aimé, ses enfants et petits-enfants, sa famille et ses amis, certains venus de l’autre côté des ravines qui encadrent Saint-Leu, tous étaient là pour l’accompagner en une ultime prière dans la belle église de la commune, cette commune où la population lui avait offert sa part de tranquille notoriété.
Ignace Taïlamé, figure connue et appréciée de Saint-Leu, figure respectée, s’est éteint à l’âge de 63 ans.
Angélina, une de ses petites filles, encore jeune et toute frêle, sut dominer son émotion pour dire, au bord des larmes, quelques mots à l’assistance. Je vous propose de l’écouter dans le court et beau message qu’elle vint simplement nous dire :
« Ignace ? Joseph ? Serge ?
Non, c’est “Tata” que nous connaissons, celui qui pique-niquait à “Lanjoin” avec son sandwich-jambon. “Tata”... : Je le dis, c’est pour faire paraître sur les visages si tristes de sa famille un léger sourire.
« Ces dernières années, il a vu naître et grandir ses huit petits-enfants qui ont fait son bonheur et ses éclats de rire.
« Nous apprécions sa douceur, sa gentillesse, sa joie de vivre sans oublier son excellent cabri massalé mijoté avec amour pour nous, enfants, petits enfants, frères, sœurs, nièces, neveux, amis...
« Nous nous souviendrons toujours du costume qu’il mettait pour aller au bal danser...
« Où que tu es, Tata, nous savons que tu veilles sur nous. Merci, pépé, pour l’immense bonheur que tu nous as donné ».
Ignace Taïlamé repose aujourd’hui dans le cimetière marin de Saint-Leu, au bord de cet océan dont il aimait scruter l’horizon, curieux qu’il était de savoir jusqu’où, si nous le voulions, nos regards pourraient porter et nos cœurs trouver d’autres cœurs d’hommes à aimer.
À la manière de ceux qui sont riches de ne rien posséder sinon le bon sens et la générosité des gens qui avec peu ont su beaucoup donner,à sa manière, il a tracé des sillons de vie que sauront emprunter Angélina et Mylène, Alexandre, Delphine et Christine, Émilie, Cyrielle et Mathieu, ses petits enfants dont il aimait dire à qui il rencontrait qu’ils sont ceux qui verront et feront se lever La Réunion de demain...

Raymond Lauret