Il est de ces géants

10 mai 2008

Comme n’importe quel “monstre”, le capitalisme ne fait pas dans le sentiment. Créé pour sortir l’homme lambda d’une tranquille petite vie passée à manger pour vivre et à rire autour de ces choses simples qui renforceront ses liens avec les autres, développé pour mettre le plus de produits consommables sous les yeux et à la portée du porte monnaie d’un maximum de consommateurs, le capitalisme donc a besoin, d’une part, d’un marché séduit qui soit le plus étendu possible et, d’autre part, de l’outil de communication qui fera entrer dans les têtes et les réflexes du plus grand nombre possible de gens, jusque dans les coins les plus reculés de la planète, la nécessité de paraître pour être. Donc d’acheter, d’acheter le produit et aussi l’emballage.
Il faut le reconnaître : le capitalisme a réussi au-delà de toutes les espérances de ses géniteurs. Exemples ? Le prix des billets d’avion est réputé très cher, mais les avions affichent toujours complets... Le prix du baril de pétrole ne cesse d’augmenter ? Voyez ce qui se passe devant nos pompes... On en sort des jeux électroniques à la chaîne et sans perdre haleine ! C’est que ça s’achète, sitôt mis sur les rayonnages.
Pour faciliter l’accès du plus grand nombre à ses produits ainsi démocratisés, le capitalisme ne pouvait laisser ses usines dans les pays dits riches, riches d’une culture syndicale qui a pu lui imposer un cheminement vers des conditions normales de rémunération des salariés. Le capitalisme, pour continuer à amplifier son assise et a très vite compris qu’il lui fallait « délocaliser » ses lieux de production. Il a donc choisi d’aller là où le coût de « leur » vie est (encore) bas et là où (par conséquent) les populations ne connaissent pas (pas encore, pas encore...) les luttes syndicales.
Simplifié et à peine caricaturé, voilà ce qui attendait mon vieux copain Michel Albin quand, il y a une grosse dizaine d’années, au soir d’une vie passée à enseigner et à militer dans le monde des politiques sportives, avec cette candeur qui nous caractérise tous dans ces milieux, il crut que les mêmes valeurs qui l’avaient accompagné pour réussir sa vie de citoyen lui permettraient de faire un bout de chemin dans le secteur du marchand.
Je m’en souviens comme d’hier : son coup de fil pour me dire son enthousiasme tranquille pour la grande pêche... un contact avec le président d’alors de la CCIR... l’obtention d’un local bien placé... une usine de conditionnement montée grâce à des prêts et grâce aux subventions réglementaires.
Et puis un jour vient la nécessité d’aller plus loin, sur - je caricature - le terrain du capitalisme, sans les hommes et sans les moyens qu’exige un tel bond.
En douze mois, tout s’écroula.
J’ai aimé que mon vieux copain Michel Albin, tel le capitaine qui quitte le dernier et en solitaire le bateau qui sombre, ait tenu à être au Tribunal de Commerce mardi dernier pour écouter comme il se devait le verdict de la loi. Il y avait du panache dans son attitude et de la grandeur dans son regard d’homme d’honneur.
J’ai alors relu ces lignes un jour écrites pour lui : c’était en mai 2002.
« Vous auriez pu voguer vers la tranquillité
D’une bourgeoise retraite au jardin cultivée,
Bercer sur vos genoux Thomas et ses cousines,
Déguster avec eux des darnes de légines.
Non, vous avez choisi d’aller humer l’air cru
Et au large trouver le rêve entretenu,
A contempler souvent ces toiles de Turner
Où les nuages du ciel viennent irriguer la mer.
...Il est de ces géants aux épaules voûtées.
Leurs regards d’Apollon taillent les vraies beautés
Dans la pierre du monde. Ils construisent le temps
Pour que tous les enfants demain deviennent grands... »

Un peu triste je l’avoue, j’ai relu encore avant de saluer d’un clin d’oeil mon très cher ami.

R. Lauret


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Messages

  • merci de ces mots d’amitié raymond.

    merci d’être de ceux qui ne laissent pas au milieu du gué les amis, même si leur situation est complexe.

    merci de tes gestes et actions pour réconcilier ceux qui ne savent plus se parler, ne savent plus s’écouter , ne savent plus.......

    je sais que faire pour aider le géant dont tu parles, mais qu’il sache que je suis là , malgré tout.

    il a effectivement un comportement de capitaine, au milieu d’une bande de pirates qui sont des lâches et des traitres.

    le nom ALBIN a repris de la couleur.

    quel désastre douloureux.


Témoignages - 80e année


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