Il était inconcevable qu’un petit indo-chinois...

6 octobre 2006

Depuis la rue Lucien Gasparin, à la hauteur du parking de l’Hôtel de Ville de Saint-Denis, la vue est comme on dit imprenable. Posé sur six piles dont l’élégance frappe le regard, le pont Vinh San préfigure ce que seront demain les liaisons Nord-Ouest.

Vinh San ? Il était prince dans son pays et, comme l’ont été Abd el-Krim ou la Reine Ranavallo III, fut un jour exilé dans notre île, contraint et forcé de quitter son Vietnam natal. Comme Abd el-Krim et la Reine Ranavallo III, il vécut ici, mais la tête et le cœur rivés sur d’autres horizons et accrochés aux destins de la Terre qui l’avait vu naître.

Qu’ont pu être pour lui les années d’exil passées dans notre île ? Du temps passé, assurément, à faire la part entre un peuple d’adoption attachant et la cécité historique d’une puissance colonisatrice... Nous sommes à la veille de la Seconde Guerre mondiale... Nous sommes en plein dans le conflit.

Comment ne pas tenter de chercher derrière les mots qu’il eut à utiliser la portée exacte de ses pensées, de ses espérances, peut-être de ses ressentiments d’homme mûr et aguerri, lorsque, après avoir reçu en Mars 1945 la médaille de la Résistance, lui, Prince Empereur d’Annam, exilé et oublié dans un confetti de l’empire colonial, écrit à son Excellence le Gouverneur de La Réunion : "La Nation Française s’est montrée à la hauteur de ses malheurs, ses serviteurs s’efforceront de se montrer à la hauteur de ses grandeurs sur toutes les terres où flotte l’Ame de la France"  ? De quelle France s’agit-il, celle du Maréchal Gallieni ou celle du Général de Gaulle ?

Comment ne pas s’interroger sur le message qu’il a peut-être voulu délivrer lorsqu’il termine sa lettre par le souhait ardent qu’il formule "pour une prompte victoire des armées qui ne renoncent jamais"  ?

Quelle fut la teneur des nombreux tête-à-tête qu’on lui prête avec l’homme du 18 Juin à la fin de la guerre ?

Est-il exact que ce dernier avait souhaité qu’il fît partie de son cabinet militaire ? Le Général a-t-il alors eu l’idée de le réhabiliter à la place de l’Empereur Bao-Daï avant que ne soit proclamée l’indépendance de l’ancien protectorat français ?

Pourquoi certains témoignages ont-ils, par la suite, tenté de minimiser, voire de ridiculiser, la portée de ce qu’il entreprit avec son poste émetteur-récepteur, notamment entre Mai et Novembre 1942, c’est-à-dire entre le débarquement et la libération de Madagascar et l’arrivée du Léopard au large de Saint-Denis, le 28 Novembre 1942 ?

Faut-il penser que, pour certains, il était inconcevable qu’un petit indo-chinois qui pesait 45 kilos, qui faisait le jockey aux courses de chevaux de la Redoute, qui bricolait la nuit dans un petit atelier de radio-mécanique et qui vivait pauvrement put finalement révéler une noblesse d’âme au point de retenir l’attention du chef de la Résistance française, montrant, pour paraphraser le journaliste Alain Junot, "qu’il n’est pas de ces hommes sans influence et sans relation, obligés de rester sur leur faim au spectacle des agapes" .

(à suivre)

Raymond Lauret


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