Je vois d’ici la joie qu’a dû éprouver mon dalon Raymond en apprenant dimanche la victoire des benjamins de La Réunion en finale de la Danone Nations Cup 2006 à Lyon.
Et puisqu’il n’est pas encore là pour nous la dire (ce qui n’est, bien entendu, que partie remise), je pousse en son nom, et au nom de tous les amoureux du football, ce cri de joie qui salue la victoire de nos tout-petits dans ce qu’on peut considérer comme la Coupe du Monde de football de la catégorie des 10-12 ans.
Et de grâce, ne boudons pas notre plaisir ! Avant de triompher en finale contre la Suisse, ce sont les équipes d’Afrique du Sud, du Japon, de l’Indonésie et de l’Argentine que les Réunionnais ont dû écarter...
Il y a une belle fraîcheur dans cette aventure collective, de vrais espoirs d’avenir dans ce second succès de nos footballeurs en herbe (le premier date, je crois, de 2002), et disons-le une innocence réconfortante dans ce triomphe juvénile que ne ternit aucun soupçon de dopage. Nos “champions du monde” ont joué, au sens noble du terme, pour la gloire, et sont revenus au pays pour tout simplement retrouver les bancs de l’école ou du collège. Leur prestige ne se mesurera ni en salaires extravagants, ni en primes occultes acheminées en douce par tel ou tel paradis fiscal, ni en juteux contrats publicitaires : bien plus que tout cela, la lueur d’admiration dans le regard de leurs camarades de classe et de leurs copains de quartier, ainsi que, telle qu’ils l’ont exprimée à la TV, la si compréhensible fierté des frères et sœurs, des cousins, des parents.
Certes, a confié l’un d’eux, les “chasseurs de têtes” ont déjà montré le bout de l’oreille, puisque l’A.J. Auxerre, entre autres, s’est déjà manifestée. Mais il est un temps pour tout. Et l’immédiat avenir sera d’abord, pour ceux que pourraient tenter une carrière professionnelle, fait de persévérance, d’entraînements, de constance dans l’effort, de cette poursuite sans fin du perfectionnement individuel et collectif hors de laquelle les miracles, ils l’ont sans doute déjà compris, ne se produisent guère. C’est sans doute ce que leur a dit au stade Gerland, en saluant leur victoire, Zinédine Zidane lui-même, parrain charismatique de cette compétition mondiale, qui a donné son accord pour l’utilisation de son image en appui à des programmes de promotion pour l’enfance.
C’est l’occasion pour nous d’insister sur cette dimension à la fois émancipatrice et intégratrice du sport - et notamment des sports collectifs - ainsi que sur sa complémentarité évidente avec l’action éducative telle qu’elle s’exerce au sein des familles ou de l’institution scolaire. Action complémentaire, et même amplificatrice si l’on tient compte, à La Réunion encore plus qu’en métropole, de la sociologie du football, et qu’on la replace dans le contexte de la géographie des quartiers, et de l’engagement bénévole des éducateurs sportifs, dont l’efficacité et la disponibilité méritent une fois de plus d’être saluées (avec une mention particulière pour Saint-Joseph, puisque huit des quatorze sélectionnés viennent de l’Excelsior).
Et ce qui vaut pour le sport vaut, de toute évidence, pour l’ensemble des domaines ouverts à l’activité humaine : sciences, techniques, recherche, culture, arts sont autant de champs potentiels d’excellence qui devraient s’offrir, dès la petite enfance, à la diversité des goûts, des capacités et des talents qui existent potentiellement chez tous les marmailles, et dont l’épanouissement dépend au tout premier chef de l’efficacité des politiques publiques développées dans ces domaines respectifs. Car ce dont nos benjamins ont fait la démonstration péremptoire à Lyon, c’est bien sûr qu’ils avaient du talent, mais aussi et surtout que le haut niveau est ouvert à tous, pour peu qu’on n’hésite pas à en faire un objectif : dans ce domaine, l’absence d’ambition est tout aussi inacceptable que la pénurie de moyens.
Et un mot quand même sur un aspect de l’événement, dont sauf erreur peu d’observateurs ont fait cas, et dont pourtant la portée symbolique n’est pas négligeable.
Parmi les trente-deux équipes en compétition figurait l’équipe de France, laquelle s’est classée seizième après avoir été éliminée en huitièmes de finale par le Brésil. Quoi ? La Réunion en concurrence avec la France ? On aurait pu craindre, en d’autres temps, que nos Gardiens de la Constitution, tout ébouriffés sous leurs bonnets pointus, dégainent l’article 73 d’une main, l’article 74 de l’autre, et tirent dans le tas. Ou pire, qu’un commando de la fraction armée du noyau dur de la branche politico-militaire de nos départementalistes intégristes attaque au plastic le siège de la LRF. Rien de tout cela, et c’est tant mieux. La sagesse populaire ne dit-elle pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ? Quant à nos compatriotes de Lyon, à en juger par les applaudissements des 30.000 spectateurs, s’ils ne connaissaient pas la goyave de France, ils ont de toute évidence apprécié la rosette de La Réunion.

Raymond Mollard