Jacques Chirac aura-t-il tort quand il évoquera alors la raison d’État ?

18 juin 2007

Depuis hier dimanche, Jacques Chirac est donc redevenu un citoyen comme il en existe des dizaines de millions en France. Comme vous, comme moi, comme chacun d’entre nous, il est aujourd’hui susceptible d’être convoqué devant un juge, pour « être entendu » comme on dit dans le cadre d’affaires dont la justice aurait été saisie. “Être entendu”, donc “mise en examen” et comparution possibles comme témoin ou accusé. La petite phrase du Premier ministre François Fillon (« il redevient - à compter de ce samedi 16, minuit - un justiciable comme un autre ») nous alerte là dessus de manière on ne peut plus claire. Outre le fait, dit-on, que l’actuel et sans doute pour quelques temps encore locataire de Matignon a là l’occasion de « rendre la monnaie de sa pièce » à un Président qui l’a brutalement remercié à l’époque quand il était au gouvernement, c’est un point de la Constitution française qui est rappelé : chez nous, le Président de la République est couvert par le principe de l’immunité. Il n’est pas un citoyen comme les autres, car il est le gardien de la raison d’État. Mais quand il ne l’est plus ?
Immunité ? Le mot est proche du verbe “immuniser” et de l’adjectif qui va avec. Sauf que le privilège de l’immunité ne nous immunise pas forcément contre telle ou telle appréciation, justement au nom de la raison d’État dont ceux qui vous jugent (vos adversaires ou ceux qui font et qui disent, en se trompant parfois, la Justice) ne sont pas garants. Le dictionnaire ne dit-il pas que, immuniser, c’est « rendre réfractaire à une maladie » et, en figuré, « soustraire à une influence nocive ? ». Ne dit-on pas de certains sérums qu’ils sont « immunisants » ?
Jacques Chirac va donc - c’est en tout cas désormais possible - « être entendu » pour que la Justice voit la part qu’il a pu prendre, du temps où il n’était pas “touchable”, dans des faits contraires à la loi républicaine.
Parions qu’il évoquera alors la raison d’État, rien que la raison d’État. Que voulez-vous qu’il réponde d’autre ?
Oui, que voulez-vous qu’il réponde d’autre, sinon qu’il n’a pas le droit de tout dire, lui à qui la Constitution a confié un jour de lourds secrets d’État et le soin d’y veiller, surtout maintenant qu’il n’en est plus responsable. Simple exemple : le fameux code qui autorise l’armée à enclencher le processus de l’utilisation de l’arme atomique et dont il a transmis le secret à Nicolas Sarkozy.
Et vous le verrez, après qu’on l’aura - au nom du droit commun - jeté en pature à l’opinion publique, on accouchera d’un arrêt de classement et de non-lieu. Parce qu’il en est de l’intérêt supérieur de la Nation...
On aura alors gagné - mais c’est souvent comme ça en France - à allumer un grand feu. Feu de joie pour certains, d’interrogations désabusées pour d’autres. Il y aura ceux d’un côté qui disent que nous sommes une grande démocratie qui ne laisse aucun crime impuni, de l’autre ceux pour qui nous ferions mieux d’inculquer depuis l’école l’idée que la “morale” doit être le pilier du droit. On commencerait à l’école et on n’arrêterait pas. Au lycée, à l’Université et à l’ENA, on continuerait à en enseigner les principes et leur application.
Inévitablement, on aurait à se pencher sur... excusez-moi d’y insister... sur le scandaleux régime indemnitaire qui prévaut en France et qui veut que nos institutions versent à certains citoyens de confortables salaires pour des emplois qui n’existent pas toujours.
Et pour ce qui est des emplois fictifs à la Mairie de Paris, le peuple de France a déjà tranché : après que les tribunaux ont condamné Alain Juppé à devoir aller enseigner au Québec le temps que s’efface le souvenir de sa privation de droits civiques, on en a refait démocratiquement un Maire pour Bordeaux, un Ministre pour la République.

R. Lauret


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