L’homme et l’enfant, ou la magie du Foot

10 août 2006

Vingt-quatre heures après leur rencontre, je me demandais toujours lequel des deux avait été le plus secoué par l’autre. Était-ce elle, 14 ans, qui pendant l’heure et demie où elle fut face à son héros de légende n’avait jamais cessé de se demander si elle ne rêvait pas ? Était-ce lui, 45 ans, qui, bien avant qu’elle n’arrivât et bien après qu’elle fut partie, essayait toujours de ne rien perdre d’un moment d’exception dans sa vie de vieux baroudeur qui a versé sur mille terrains de football et dans autant de vestiaires des tonnes de sueurs et d’émotion ?
Tout avait commencé l’autre samedi, chez Angeline et Willy. La nuit commençait à déposer sur le Guillaume Saint-Paul son manteau de fraîcheur. Pas loin de la grande table qui attendait que les invités aient terminé les préambules, les enfants jouaient. Line, ma cousine de France, me présenta Gérard son mari et leur grande fille. C’est ainsi que je découvris Mélanie... "...de Toulou-zze". J’avais compris, à la manière qu’ont tous les gens du "sud-ouest" de colorer l’ultime syllabe de chacune de leurs exclamations, que Mélanie était bien... de "là-ba-g" !!!
"Tu connais donc le cassoulet et le Téfécé ?"
me hasardais-je, histoire de la mettre à l’aise tout en lui montrant que je connais tout de même l’essentiel de ce qui a fait la renommée de "la cité rose" que l’on dit aussi "des violettes"...
Si elle connaît ? Le cassoulet, ben oui... Mais le Téfécé... non, le TÉ-FÉ-CÉ... "Le TÉ-FÉ-CÉ, mais c’est ma vie, j’en suis fan... Je vis pour le “TÉ-FÉ-CÉ" !!!
Je n’ose la décevoir en lui confiant que, moi, c’est plutôt le FC Nantes de Goulam Gangate. Je choisis de l’étonner : "Il y a à La Réunion un ancien du Téfécé", lui confie-je sans illusion sur l’effet qu’une telle banalité peut déclencher. Et, sans grande conviction, je rajoute : "Il s’appelle Patrice Ségura".
Je vous prie de me croire : dans la demi-seconde il se passa quelque chose, comme un petit big bang. Elle s’immobilisa net, son visage passa du rose au violet, son regard s’embua, son cœur s’arrêta : "Comment ? Qui ? Quoi ? Tu dis ? Patrice Ségura ? Mais j’ai sa photo dans ma chambre !!"
Elle me fixa, refusa que j’en dise si peu, voulut en savoir plus... "Il est ici ? Mais c’est trop beau ! C’est géant ! Ah, votre pays, il est plus que magnifique... Patrice Ségura, je l’ai chez moi et il est ici !!!"
Je pris mon portable et, c’était devenu la moindre des choses, appelait Patrice.
“Le” Patrice ! Il a beau être en arrêt maladie et en phase préopératoire, il vous cultive une de ces pêches, de celles qui ont fait la coqueluche des stades de métropole et, depuis une douzaine d’années maintenant, ceux de La Réunion, de Saint-Pierre à Sainte-Rose, le Port, le Tampon et partout ailleurs !
Je lui explique l’objet de ce coup de fil d’apparence incongru, à 20 heures passées.
Il me semble sincère quand il me dit être surpris qu’une gamine de 14 ans ait sa photo d’ancien du TFC dans sa chambre. C’est que Toulouse et Ségura, ça remonte à belle lurette ! "Attendez, je lui dis. Je vous passe Mélanie..." Et j’ose alors le choc des générations...
Soudain, j’ai peur que la môme nous fasse un infarctus... Elle plonge dans le rêve, bégaie un bon coup, ne croit pas ce qu’elle vit, court, saute à grands pas, s’exclame. Et, dans le froid de notre hiver austral, s’éloigne, mon portable scotché à l’oreille...
Je laisse les deux êtres à leur inattendu bonheur... Une éternité de temps après, la batterie de mon portable asséchée, je récupère un Patrice que je devine livide, vidé, dévidé, pétrifié...
"Je vous l’amènerai mardi ou mercredi" que je lui balance pour achever le “minot du Stadium” que, du coup, il est soudain redevenu...
La rencontre ! Ce fut donc avant-hier, mardi 8 août, sur les hauteurs de La Possession, à Pichette, là où Patrice Ségura habite au milieu des objets et des photos, des livres et des CD qui lui rappellent qu’il est né un ballon de foot dans le berceau.
Ce qui s’est passé relève de ce qui fait la beauté de notre vie. Celle d’un homme qui en a vu d’autres et qui, pourtant, a passé de longues minutes à s’interroger sur le destin assez extraordinaire qui est le sien avec cette gamine qui ne l’a jamais vu, qu’il ne connaît pas et dont il découvre qu’il occupe les rêves. Celle d’une enfant qui, à 10.000 kilomètres de là où elle a ses camarades de collège, sans doute encore ses poupées et bien sûr les photos des gloires de son Téfécé, vient de rencontrer l’une d’entre elles, a pu lui parler, l’entendre et le voir autrement que dans ses phantasmes de fan qui vibre de foot et du TÉFÉCÉ en écoutant Sud Radio et en ne manquant pas une seule ligne des pages foot du “Midi-Libre”.
Vous permettez que de cette rencontre je ne vous en dise pas plus. Seuls un homme déjà mûr et une enfant encore capable de s’émerveiller peuvent parler de ce qui leur appartient.

R. Lauret


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