L’important scrutin de dimanche doit-il éclipser le problème moral posé par ce qui s’est passé l’autre jeudi au Chaudron ?
16 avril 2012
La lecture samedi matin d’un article de Franck Cellier dans l’édition du “Quotidien” de ce jour-là nous a laissés sans voix. L’histoire qui y est relatée s’est passée jeudi dernier 12 avril. Nous sommes au Chaudron, dans le modeste appartement où, écrit le journaliste, habite une famille d’origine comorienne. Il y a là une gamine de 6 ans qui souffre depuis sa naissance de malformations lourdes et variées, qui est aveugle et qui ne peut pas s’alimenter comme vous et moi. Elle ne marche pas et connaît régulièrement des crises d’épilepsie.
Cette enfant, on le voit, concentre sur elle toutes les malédictions que l’on peut imaginer. Elle n’en reste pas moins un être humain qui a des parents et une famille. Et ceux-ci, par amour pour cet être qu’ils ont mis au monde et qui fait partie de leur univers immédiat, se sentent investis du devoir de la suivre. Inévitablement, ils s’accrochent à tout ce dont la science dispose comme matériels et technologie avancée.
C’est pourquoi Rachida , c’est le prénom de la gamine, est depuis quelque temps déjà branchée, à l’aide d’une sonde, à tout un appareillage qui lui assure une alimentation par voie artérielle.
Rachida est née à Moroni, il y a un peu plus de 6 ans. Elle s’est un jour retrouvée, par le biais d’un kwassa-kwassa, avec les siens à Mayotte. Puis ce fut La Réunion. Elle aurait pu mourir tout au long des pérégrinations qu’ont connues ses parents. Mais elle n’est pas morte. Elle est en vie. Parce que… la Vie a voulu qu’il soit ainsi. Elle est en vie parce que la Vie a voulu qu’elle soit des nôtres. Pour tester et mettre à contribution notre attachement au dernier des trois mots qui éclairent le fronton des Mairies de notre République. Et comme sur notre terre de France et de Fraternité il existe un système de soins, Rachida a pu en bénéficier. Jusqu’à ce qu’elle guérisse. Ou encore jusqu’à ce que, un jour, elle nous quitte pour le monde de l’au-delà.
Que s’est-il passé pour que, l’autre jeudi donc, un agent de la société qui possède le matériel médical qui permet à Rachida de rester en vie débarque dans le modeste appartement du Chaudron pour récupérer l’appareillage et pour donc tout débrancher ?
L’agent serait-il allé au bout de la mission qu’il indiquait à la famille avoir à remplir ? Nous ne nous permettrons pas d’affirmer que oui. Ses commanditaires pensaient-ils seulement que la menace ainsi orchestrée et mise en scène obligerait les instances officielles à trouver la solution de prise en charge totale du coût de ce traitement médical qui a sans doute son prix ? Ce sera sans doute l’argument qui sera développé en défense.
Il n’empêche : sur le territoire de notre République, en pleine campagne des présidentielles qui voient les prétendants à la fonction suprême exprimer la nécessaire et naturelle solidarité de la nation vis-à-vis de tous ceux qui y vivent, nous avons un exemple de méthodes que des témoins de la scène n’hésitaient pas à comparer aux descentes que les hommes de la Gestapo s’autorisaient, sur ordres donnés et à exécuter, pendant les heures sombres de l’occupation.
Quitte à être accusé d’exagération, dans le cadre de cette chronique dont j’assume seul les propos, je veux tout de même poser la question : ce qui s’est passé l’autre jeudi au Chaudron, dans un appartement où vivent des hommes, des femmes et des enfants, qui se trouvent être des gens de conditions modestes, ne vaut-il pas qualification de tentative pour intimidation contre une vie humaine ? La menace, par agent que l’on missionne, de débrancher un appareil qui assure à une enfant, fut-elle d’origine comorienne, de rester en vie, une telle menace ne doit-elle pas connaître un passage devant les juridictions compétentes ? Pour que jurisprudence se fasse et que, plus jamais, nous n’assistions sur le territoire le notre République à des agissements qui n’ont de maîtres que les logiques financières…
Deux mots, pour terminer cette chronique, sur le scrutin de dimanche prochain, jour du premier tour des présidentielles.
On a beau se dire que 2007 fut un accident qui ne se reproduira pas, que la multiplication aujourd’hui des candidats à gauche n’aura pas empêché que les divers sondages indiquent que nous allons pour le second tour vers un duel « Hollande-Sarkozy », duel que les mêmes sondages voient Hollande emporter assez largement, on a beau se dire que Madame Le Pen semble bel et bien larguée, un réflexe s’impose : celui malgré tout de ne prendre aucun risque. Et donc, dès ce 25 avril, de voter François Hollande.
Ce réflexe n’est pas la seule raison pour, après réflexion et finalement, accomplir tout de suite ce que nous aurons à faire quinze jours après.
J’ai lu avec attention la très longue interview que François Hollande a accordée jeudi dernier 12 avril à plusieurs journalistes du quotidien parisien “Libération”. J’ai apprécié qu’il reconnaisse, par exemple, « la nécessité de la colère » exprimée par Jean-Luc Mélenchon, lequel a raison de se livrer, souligne-t-il, à « une dénonciation indispensable des désordres » . La campagne du Front de Gauche, je le crois, je l’espère, devrait peser sur les orientations qu’auront, en cas de victoire, à mener demain François Hollande et son équipe gouvernementale. En tant que membre d’un Parti Communiste Réunionnais qui a tenu à obtenir de François Hollande des engagements clairs pour notre pays et pour sa population, je me dois de voter utile tout en votant utilement.
En faisant le choix de la raison et en votant donc Hollande dès dimanche, à ma place de simple citoyen, je prendrais moi aussi le risque de me sentir interpelé par la nécessité demain de faire avancer et aboutir les bons projets pour mon île. François Hollande a bien raison de dire que « le rôle de la gauche, ce n’est pas seulement la colère… ». Ce qui lui impose, ajoutera-t-il, « le devoir de réussir ». De réussir avec nous.
Voilà pourquoi, dès dimanche prochain…
Raymond Lauret