Le roc de notre patrimoine...

29 octobre 2005

Nous étions ce vendredi une grosse cinquantaine de personnes venues au Cimetière de l’Est à Saint-Denis, invitées par Marc Kichenapanaïdou et le GRAHTER. À l’ombre de la Croix du jubilé, une stèle toute blanche. Elle a été construite par des esclaves, il y a un siècle et demi, pour dire à l’Abbé Monnet toute leur reconnaissance d’hommes nés pour vivre libres et que les forces de l’époque avaient choisi de “chosifier” et d’attacher au service de maîtres.
René Payet - dont on lira plus loin l’intégralité de l’intervention - sut trouver les mots pour “une prière fraternelle”.
J’observais René, solide malgré le poids de ses quelque quatre-vingt-cinq années, le cheveu toujours blanchi et toujours en épi, le timbre portant haut et loin. J’observais ce prêtre rebelle sublimer "l’abolitionniste sans complexe" qui a contribué, "de façon décisive, à ouvrir dans le système social d’alors la brèche qui allait permettre au monde l’accès à une égalité et une fraternité effectives".
Monnet se rangeant tout naturellement du côté et au milieu des opprimés et avançant avec eux pour et jusqu’à leur libération, cela valait bien une haute distinction.
Si les autorités de l’État de l’époque ont cru qu’il méritait, avec d’autres et dans ce qu’il est convenu d’appeler le contingent de l’année, d’être décoré des insignes de la Légion d’Honneur, la plus belle des médailles qui pouvait lui être décernée, ce fut bien cette stèle construite par les mains nues d’hommes sans pouvoir (sinon celui de l’intelligence de leurs cœurs), sans doute dans la plus totale des illégalités et avec les moyens du bord.
J’observais René et ne pouvais m’empêcher de penser que Monnet ne serait pas des nôtres aujourd’hui si les esclaves n’avaient pas été à la hauteur de la bataille qu’il fallait mener et s’ils n’avaient su être eux-aussi visionnaires en croyant qu’un jour l’abolition de leur situation ici à La Réunion s’imposerait au monde entier.
Dans l’immense cimetière qui nous avait rassemblés, j’eus envie de tendre une passerelle entre cette stèle tellement simple et dépouillée qu’elle en était belle et un caveau posé un peu plus loin et où repose, un siècle après, un grand de notre île, un docteur qui nous a appris que "le roc de notre patrimoine est taillé dans cette multitude de vertus obscures qui n’ont pas besoin pour s’épanouir de l’appât des récompenses et constituent le plus solide garant de notre redressement..."
Deux grands hommes, deux destins qui nous apprennent qu’il y a une vie avant la mort, deux hommes de Foi en l’homme, deux frères.
Et il m’importe bien peu que l’un croyait en Dieu et que l’autre n’y croyait pas...

R. Lauret


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