Les profs dans le collimateur de Ségolène Royal

14 novembre 2006

Dans le domaine de la polémique, Ségolène Royal n’est pas à son premier coup d’essai, à tel point que je me demande si elle n’est pas en train de devenir experte en la matière. Après ses déclarations tonitruantes sur l’aménagement de la carte scolaire, voilà que cette fois-ci elle souhaite allonger le temps de travail des professeurs de collège, proposition qu’elle juge « révolutionnaire ». Certes, Mme Royal qui soi-disant discute franchement et sincèrement, s’est empressée de « dénoncer une déformation de ses propos, un procès d’intention insupportable » à son égard à la veille du choix du candidat du Parti socialiste par les militants, mais les faits sont là : la vidéo pirate rapportant sa déclaration explosive circule déjà sur Internet, suscitant débats et controverses et les bloggeurs, surtout les profs ne sont pas tendres avec elle.

Ayant constaté que des profs du secteur public font du soutien individualisé payant après leur temps de service (18 heures) dans des entreprises de soutien scolaire, elle propose, afin d’enrayer l’échec scolaire qui, d’après elle se joue au collège, que les profs restent 35 heures dans leurs établissements et que « dans ce paquet global », ils dispenseraient des cours mais aussi des heures de soutien individualisé gratuit. Il est évident que cette proposition a fait bondir les intéressés car, se situant dans cette perspective, Ségolène Royal méconnaît le travail d’un enseignant de collège. Il faut savoir que son service ne s’arrête pas après les heures de cours en face des élèves. La préparation des cours et des évaluations, les corrections des devoirs et pour les élèves en difficulté la mise en œuvre de la remédiation, autant de tâches qui viennent combler la semaine de 35 heures.

Certes, il faut le reconnaître, il y a des enseignants du public qui donnent des cours de soutien scolaire rémunéré. Mais ils constituent une infime minorité et à partir de là, il est dangereux d’en faire une généralité. Et puis, dans la mesure où ils font leur travail correctement au collège et déclarent leurs salaires et leurs indemnités perçues, que peut-on leur reprocher dans le contexte actuel où le public ne leur offre pas cette possibilité ? Je constate par ailleurs dans la réalité quotidienne que beaucoup d’enseignants (pour qui j’ai de l’admiration) font de l’accompagnement scolaire dans des structures associatives et qu’à ceux-là, Ségolène Royal ne dit pas un seul mot d’encouragement.

Je note que la prétendante à l’Elysée, parlant toujours de l’enregistrement vidéo, ne dément pas catégoriquement ses propos mais enfonce le clou en affirmant que « la question qui est posée est celle de l’aménagement du temps des enseignants pour qu’ils puissent accomplir une partie du travail (préparation des cours, corrections, encadrement) dans l’enceinte du collège ». Car en faisant rester les enseignants au collège pour encadrer, c’est bien des élèves qu’il s’agit. Donc tout le monde a bien compris qu’elle veut absolument les faire travailler un peu plus pour faire du soutien individualisé. Je lui souhaite beaucoup de chance dans cet exercice de remise en cause des acquis et je vois déjà se dessiner de belles batailles syndicales en perspective.

Si Mme Royal prétend dénoncer une certaine marchandisation du soutien scolaire, je trouve personnellement que c’est une bonne chose. C’est tout à son honneur. Cependant il faut s’y prendre autrement, ne pas vouloir imposer « son plan caché » mais réfléchir aux moyens que doit se donner le service public de l’éducation pour l’assurer gratuitement à tous les enfants qui en ont besoin. Et pour cela, il convient de discuter avec les profs et leurs représentations des heures supplémentaires qu’ils pourraient effectuer volontairement et les payer en conséquence. Elle aura au moins le mérite de donner son véritable sens au principe de gratuité de l’École. Mais comment croire à la sincérité de celle qui a été pendant 3 ans ministre déléguée à l’enseignement scolaire auprès de Claude Allègre, celui-la même qui n’a pas cessé de casser les enseignants et le service public avec un seul objectif en tête : dégraisser le mammouth.

Enfin, sans vouloir m’immiscer dans le débat interne à sa formation politique, j’espère que ses conseillers sauront l’amener à plus de discernement dans son analyse du système éducatif afin qu’elle tienne compte de la réalité des choses et prenne des orientations sans démagogie à l’égard de la communauté éducative.

Yvon Virapin


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Messages

  • Prenez le temps de lire ce texte écrit par un prof, Laurent TARILLON, enseignant de sciences économiques et sociales à Grenoble

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    IL FAUT REVOIR LE TEMPS DE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS !
    LE DECRET DE 1950 EST VRAIMENT TROP VIEUX !
    Actuellement, le temps de travail d’un enseignant de collège ou de lycée est de 18 heures par semaine. C’est, pour les professeurs certifiés, le seul élément fixe et clair relatif au temps de travail qui leur est demandé. Il a été fixé par une décret datant de 1950. Rendez-vous compte ! Ce qui détermine ce qu’un enseignant doit à la nation date de 56 ans. Il est vraiment temps de se pencher sur un problème aussi lourd de conséquences.
    18 heures par semaines ! Quel salarié ne voudrait pas travailler aussi peu pour d’aussi bons salaires ?
    Comment le législateur a-t-il pu créer en 1950 un statut aussi avantageux ? Il faut peut-être y regarder de plus près. En fait, ce temps a été conçu en prévoyant qu’un enseignant travaille 1,5 heures chez lui pour une heure devant élève afin de préparer ses cours, évaluer les élèves et actualiser ses connaissances dans sa discipline. Cela fait 18 fois 2,5 heures (1 devant les élèves et 1,5 à la maison), soit 45 heures hebdomadaires. En effet, le temps de travail légal de l’époque s’il était légalement de 40 heures par semaine, était en réalité de environ 42 h par semaine, sur 50 semaines.
    Mais que s’est-il passé depuis pour les enseignants ? Rien ! Alors que pour les autres salariés il y a eu la troisième semaine de congé payé en 1956, puis quatre en 1969. Les 40 heures réelles ont été atteint au début des années 70 (elle était un droit depuis 1936). Mais ce n’est pas fini, il y a eu les 39 heures et la cinquième semaine en 1982, puis les 35 heures en 2000. En somme le temps de travail hebdomadaire pour les salariés a baissé de 25 %. Mais les enseignants doivent toujours le même service.

    C’est au moins un enseignant qui écrit cela vous dîtes vous, en lecteur éclairé ! Certes je l’avoue, je fais partie de ces privilégiés. Car, comment peut-on parler de temps de travail sans parler des vacances ? Et bien justement, le législateur a tout prévu et cela de deux façon. D’abord 45 heures dues quand les autres devaient 42, ça c’est pour les petites vacances (Toussaint, Noël...). Car les vacances c’est pour que les élèves se reposent. Donc notre temps de travail était annualisé. Mais, et les deux mois d’été alors ? Là, c’est un tout petit peu plus compliqué. Certains enseignants ne le savent même pas, d’ailleurs. Cela se situe au niveau de la grille des salaires. Notre grille a été, elle aussi, fixée en 1950 au même niveau que les autres cadres de la fonction publique recrutés avec un concours au niveau bac + 3. Mais à cette grille, il nous a été retiré deux mois de salaires, puis le résultat a été divisé par 12. (Par exemple si un inspecteur des impôts est payé 2000 euros par mois il recevra 24 000 euros par an, mais pour la même qualification, un enseignant recevra aussi 2000 euros par mois mais sur 10 mois, soit 20000 euros par an. Cette somme est ensuite divisée par 12 et donne 1667 euros par mois.) Et oui chers lecteurs les enseignants ne sont pas payés pendant les grandes vacances.
    Oui bon d’accord, peut-être que nous ne sommes pas si privilégiés que cela concernant le temps de travail. Mais côté salaires, quand même, nous ne sommes pas à plaindre ! Et bien soit, comparons. Nous sommes nettement en dessous de la moyenne des cadres du privé comme du public (qu’on nous prouve le contraire). Mais l’exemple le plus frappant pour moi de la dégradation de la valeur que la nation accorde à ceux qui éduquent ses enfants est le suivant. Le salaire de départ d’un enseignant en 1970 était 2 fois supérieur au SMIC. Aujourd’hui, il n’est plus que 1,2 fois plus élevé. Autrement dit si comme le PS l’a écrit dans son projet le SMIC augmentera de 25 % au cours des cinq ans à venir (et l’UMP l’a augmenté au même rythme annuel dès cette année), un enseignant débutant gagnera moins que le SMIC. Faudra-t-il en arriver là pour que la société se rende compte de la dégradation de notre situation ?
    Alors oui le décret de 1950 est vieux ! Il est vraiment temps de le toiletter comme le disent nos gouvernants ! Mais dans quel sens ? Est-ce en faisant en sorte que devions travailler plus pour gagner autant comme veut le faire M de Robien ?
    Laurent TARILLON, enseignant de sciences économiques et sociales à Grenoble.
    PS : Je joints deux graphiques dans lesquels vous pourrez vérifier mes affirmations. Si d’autres personnes ont d’autres statistiques, elles peuvent me les envoyer, y compris si elles vont dans un sens opposé.
    PS 2 : ce texte est libre de droits. Vous pouvez le faire circuler autant que vous le voulez. Il peut même être publié en me demandant mon accord.
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    Vous le saviez, j’en suis sûr !! mais prenez le temps d’informer tous les gens que vous connaissez pour que notre image dans la société change car c’est cette image que nos dirigeants ont détruit afin de pouvoir nous isoler et nous faire marcher au pas, car n’oublions pas que nous sommes perçus comme des nuisibles dans cette société où l’état ne veut que conserver la charge de ses activités régaliennes.

    • En effet, il serait temps de réviser le temps de travail des profs ou de revoir à la hausse le coefficient appliqué aux 18 h de face à face.

      Professeur de lettres modernes en collège "banal", j’enseigne sur trois niveaux et à quatre classes, soit 104 élèves qui produisent chaque semaine un travail écrit dont l’amplitude varie en fonction de l’avancement des séances voire de ma propre charge de travail.

      Chaque élève possède 6 à 8 notes trimestrielles lui permettant de mesurer son évolution.

      Est-ce du stakhanovisme ? Je ne le crois pas !

      Pensez vous que nous puissions évaluer un élève sur ses compétences sans l’avoir testé sur au-moins deux devoirs de chaque type, auxquels il serait bon d’ajouter une évaluation d’orthographe ?

      Pensez vous qu’il soit possible de corriger un devoir ; d’expression écrite, de synthèse de lecture, d’étude de la langue, en moins de 15 minutes (souvent plus) ?

      Par conséquent mon temps de correction hebdomadaire est de 14 h, il me reste 13h/45 pour effectuer le reste de mes tâches.

      Présente, 24h semaine sur mon établissement, je consacre 6 h à la recherche de documents,photocopies, tâches administratives, suivi des élèves sur ordinateur, rencontre avec les élèves, les collègues autour des problèmes ou des projets, voire harmonisation des devoirs et des corrections,il ne me reste alors que 7h/45.

      Pensez vous que nous puissions préparer un contrôle et une correction motivée par les erreurs en moins d’une heure par classe et par semaine, soit 4h ? Je ne dispose alors que de 3h/45 pour actualiser mes lectures , concevoir ou préparer mes séquences.

      C’est évidemment insuffisant ! Cependant, malgré mes 30 ans d’expérience, je continue à renover voire à innover car mon public change, les auteurs publient,l’actualité offre chaque jour de nouvelles voies à exploiter.

      Il me reste les périodes de vacance durant lesquelles je vaque au sens transitif du verbe : vaquer à ses occupations.

      C’est également insuffisant pour rencontrer les parents,assister aux réunions institutionnelles de l’équipe éducative en fin d’après midi, aux conseils de classe, aux ccordinations : collège/élémentaire, collège/lycée. Cependant je respecte mes obligations compte tenu de l’importance de ma matière, d’ailleurs ne pas les respecter m’exposerait au blâme de ma hiérarchie, des parents et des élèves.

      Il n’est pas étonnant que nous "craquions" à mener ce rythme infernal qui obére nos soirées, nos week-end, nos congés (si mal traités) d’autant que peu de citoyens s’alarment de la diminution drastique des heures d’enseignement des lettres en direction d’un public particulièrement fragilisé par la paupérisation.

      Fille d’ouvriers francophones, dans les années soixante à soixante-dix, j’ai bénéficié de 6 à 7 heures de français hebdomadaires durant mes études secondaires, mes enseignants avaient le temps de m’accompagner dans mes lectures et mes écrits, aujourd’hui cette pédagogie de comptable qui se cache derrière l’alibi des termes : autonomie, volonté personnelle, méthode, rationalisation ne permet plus ni aux élèves ni aux enseignants de travailler efficacement.

      Enfin je n’évoquerai même pas les conditions de stress dans lesquelles enseignants et élèves sont plongés par l’obligation de résultats qui remplace l’obligation de moyens.

      Pour beaucoup d’entre nous l’institution est devenue kafkaïenne puisque nos missions se sont accrues conjointement aux besoins et qu’à aucun moment il n’a été question, malgré nos revendications, de nous donner les moyens de répondre aux demandes sauf en nous intimant un ordre "do it".


Témoignages - 80e année


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