Les rimes du Surveillant Brigadier

28 avril 2007

Ce jeudi 26 avril, 10 heures. Le soleil est bien chaud à cette heure. Dans la grande cour du centre pénitentiaire du Port, tout est prêt pour le déroulé de la prise de fonction du nouveau directeur.
La cérémonie a lieu, simple et même un peu solennelle : hommes en rangs serrés, autorités civiles et militaires à leurs places, drapeau hissé, la “Marseillaise” écoutée avec l’attention qui sied. Tout est réglé selon une rigueur militaire qui ne dépare pas dans cette enceinte où d’habitude, la moindre négligence équivaut à une faute qui se paye. M. Pierre Oddoux, le nouveau boss, est officiellement accueilli dans ses nouvelles fonctions. Le protocole a prévu que la parole - c’est là une heureuse innovation - soit alors donnée à deux surveillants. Le premier, dans un émouvant discours, rappelle à partir d’une agression à l’arme blanche dont il a été victime, il y a peu, combien ce métier n’est pas sans risque. Son propos est sobre, direct. Il interpelle ceux qui, à un titre ou à autre, ont ici un rôle à jouer et des portes à ouvrir. C’est bien dit. Sans doute aussi voulu et pas seulement par le petit personnel. On sent qu’il y a un souhait partagé de dire au gouvernement qu’il y a ici un (gros) effort à produire. Et puis le second surveillant qui se plante derrière le micro et se présente :
« ... Surveillant Brigadier Henry Payet,
26 ans de service à temps plein
Et beaucoup de nuits blanches, plume en main
A noircir des feuilles et à se croire poète,
A chercher les mots
Comme remède aux maux
Ce qui m’aide aujourd’hui pour faire ce discours
En vers et pour vous parler du métier sur ces cours
D’arrêt... de détention... de centrale...,
Que compte cet établissement carcéral... ».

Un frémissement parcourt la cour. On ne croit pas ses oreilles qu’ici, en un endroit pareil, un simple brigadier sorte ainsi de l’austérité qui colle à ce métier et choisisse de faire pour cent gradés de la Justice et ses pairs solidaires, l’historique d’un lieu où rien n’est chimérique.

Ecoutons le encore :
« ... Dans nos professions, aucun problème n’est mineur.
Un petit incident, une petite erreur
Peuvent avoir une répercussion sur le fonctionnement,
Voire mettre en danger la sécurité de l’établissement...
... Essayer d’imaginer... trois cents détenus,
Trois surveillants en tenue !.... »
... « Au-delà des règles qu’il faut bien sûr connaître
Pour effectuer les tâches quand on est seul maître
A bord d’une aile, d’une coursive, d’un étage,
Et qu’il faut de sa classe en faire l’étalage
Sans forcer la dose de son autorité
En un lieu où la peur n’a pas droit de cité
Car tout individu mérite le respect
Qui, s’il est mutuel, est un gage de paix »...

Sûr qu’à la Grande Académie française, le Brigadier Payet n’obtiendrait pas le prix de la poésie classique. Mais à lire dans les regards de ses collègues obligés au garde-à-vous et à deviner dans ceux des personnalités le sursaut d’abord étonné et puis vite apaisé, voire même amusé, je n’ai pas douté qu’au terme de son discours à contre-courant, dans l’estime de tous, notre sympathique rimailleur avait trouvé place.
Mais nous étions dans la cour d’honneur d’un centre pénitentiaire : alors, à la fin, seulement deux... peut-être trois personnes applaudissent. Dans ce lieu où rien n’est permis s’il n’a pas été notifié, je ne me surpris pas à être de ces trois là...

Raymond Lauret


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