Lettre à Monsieur le Directeur du C.H.D...

9 septembre 2004

C’est une bien désagréable démarche que je me dois d’effectuer aujourd’hui auprès de vous. Vous allez, je l’espère, comprendre combien je ne pouvais pas ne pas vous interpeller avec la courte histoire qui va suivre. Cette histoire n’est pas mon histoire, ni celle de ceux qui en ont été profondément choqués. Elle est - elle pourrait être - celle de n’importe quel Réunionnais et de n’importe quelle Réunionnaise dont la vieille maman va mourir.
Cette vieille maman s’appelait Suzanne. Elle avait 88 ans. À cet âge, quand on entre à l’hôpital et qu’on va en salle de réanimation, l’espoir n’est pas toujours à son maximum. Suzanne ne manquait pas d’intelligence ni de bon sens. Durant toute sa vie professionnelle, elle avait été institutrice et, avec son fidèle mari, elle avait élevé, bien comme il faut, ses cinq enfants. C’est vous dire qu’elle aurait apprécié de pouvoir causer une toute dernière fois avec ceux qui lui restaient, ne serait-ce que par le battement de ses paupières.
Dans le contexte du C.H.D., cela ne lui fut pas accordé. Et cela dans un flot de propos inadmissibles, lancés à la cantonade pour être entendus, pour bien marquer la barrière qui sépare certains des autres et pour blesser : "Si elle avait 20 ans, cela aurait été possible... Elle a 88 ans... On passe à autres choses...". J’abrège.
Cette démarche, je vous l’ai dit Monsieur le Directeur, est bien désagréable. Car tous les médecins-chefs de tous les C.H.D. de France ne sont pas comme ce monsieur. Excellent médecin-chef sûrement, mais bien piètre psychologue.
Il me suffit de voir toute la douceur que nombre de médecins apportent dans la relation à leurs malades et à leurs proches pour que je sache faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.
Ne nous trompons donc pas. Il n’y a pas 50 personnes à qui il vous faudrait remonter les bretelles et à qui vous pourriez rappeler que l’on n’est jamais seul quand on est médecin et qu’on accompagne une vieille personne de 88 ans qui va mourir : il y a les proches, et puis, surtout, il y a cette personne, une vie...
Voilà pourquoi, Monsieur le Directeur, j’ai cru de mon devoir d’effectuer cette démarche, si désagréable fût-elle...
Je suis, bien entendu, à votre disposition pour toute autre précision...

Raymond Lauret


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus