Merci, ami, qui un jour m’avez dit...

16 décembre 2005

Tenez... puisque, vous aussi, "vous n’avez pas l’temps" vu que, vous aussi, vous êtes "extrêmement très occupé", ouvrez au hasard. Oui, au hasard : vous ne prenez aucun risque...
Un ami, un jour me l’avait dit : "Lis Naipaul. Tu seras émerveillé...". Et comme pour m’aider à ouvrir une porte qui me ferait entrer dans le meilleur de l’univers d’un autre, il me déposa au bureau “À la courbe du fleuve” , le livre de V.S. Naipaul, né à Trinidat en 1932 et dont la plume a su donner au langage cette force et cette lucidité qui en ont fait en 2001 un prix Nobel de littérature.
Vous aussi... qui n’avez pas l’temps... vous aussi, ouvrez au hasard et lisez... Par exemple :
"Il n’est pas facile de tourner le dos au passé. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut décider comme ça. C’est quelque chose pour quoi il faut s’armer, ou bien le chagrin te tendra son piège et te détruira. Voilà pourquoi je m’en tiens à l’image du jardin piétiné jusqu’à ce qu’il redevienne de la terre...".
Le fleuve de chacune de nos vies peut alors se faufiler derrière la porte entrebâillée. C’est l’expérience qui naquit un jour pour grandir et donner un sens à nos mille engagements... C’est le proche que l’on perd et dont il nous faut imaginer qu’il continue à vivre, à cause de ce qu’il a été pour nous. C’est l’avenir de cette Terre que nous empruntons aux générations à venir et que nous n’avons pas le droit de rendre en pire état... C’est moi même, c’est nous-mêmes qui ne mesurons pas toujours que notre éphémère passage dispose pourtant de l’immortalité et de l’éternité pour aller aussi loin que possible de ceux qui pourraient nous connaître...
"C’est peu de chose, dit encore... au hasard de la courbe de son fleuve... VS Naipaul, c’est peu de chose, mais ça aide...".
Une page avant, j’avais laissé glisser mon surligneur : "Maintenant que j’étais sensible à l’éclat du monde où il se mouvait, il était comme un guide qui a perdu la foi dans ce qu’il vous fait visiter. Ou comme un homme qui, du fait qu’il doit communiquer sa foi à quelqu’un, avait estimé pouvoir abandonner une partie de la sienne".
Renaud de Rochebrune, du magazine “Jeune Afrique”, aiguise ma curiosité en me soufflant que "Naipaul trace ici un portrait d’une dureté mais aussi d’une précision saisissante de l’ambiance néo-coloniale..."
Et me voilà sachant à quoi je vais occuper les prochaines heures de mes prochaines nuits. Et me voilà sachant que j’aurai alors l’envie de chercher l’idée qui se dérobe, la musique d’esclaves dans les oreilles et, au matin, rien d’autre à l’esprit, sinon que j’ai "tort d’avoir une vision idéale du monde. C’est là que le mal commence à s’embrouiller".
Cela je ne peux pas l’écrire, encore que j’aimerais moi aussi savoir distiller, ici et là, quelques “Semences magiques”... Mais où suis-je à déjà feuilleter un autre, le tout dernier chef-d’œuvre où Naipaul "revisite les thèmes - exil, identité, la précarité de la civilisation - auxquels il s’est attaqué (attaché !) lors des cinq dernières décennies", une œuvre "épurée, concentrée, parfois si interne que cela en devient inquiétant..." ? Où suis-je donc à savoir à quoi je vais occuper les prochaines heures de mes prochaines nuits ?
Merci, ami, qui un jour m’avez dit...

R. Lauret


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