Nous ne plaindrons pas Philippe Jean-Pierre

24 août 2007

Dans une de ses toutes récentes réflexions (édito de ce mercredi), Lulu Biedinger dénonce avec force le « vol légal » qui prospère dans notre société avec « les hausses vertigineuses et incontrôlées du prix des terrains à bâtir »... Et notre camarade n’a pas tort - il a même bien raison - quand il dit que réside là « une des racines de la crise du logement social à La Réunion ». Nous sommes ici dans le champ de la spéculation.
La spéculation foncière ? C’est simple. Prenons un cas, celui de Monsieur “X”... Il a du flair, Monsieur “X” ! Un jour, c’était il y a 20 ans... 25 ans peut-être... il achète à un bougre qui a un urgent besoin d’argent 15 hectares de terrains incultes, en bordure de la Rivière des Galets, côté Saint-Paul. 15 hectares, c’est 150 000 m2. A 20 F C.F.A le m2, Monsieur “X” débourse 3.000.000 de francs C.F.A, soit 60 000 FF, ou bien, en poursuivant notre conversion, 9.000 euros.
Pour Monsieur “X” qui disposait déjà de la grosse fortune que lui rapportaient ses activités de camionneur (à l’époque, l’activité était juteuse), c’était une paille, ces 3 millions C.F.A ! Ben oui, 15 hectares pour moins de 10.000 euros, qui n’en serait pas preneur ?
Evidemment, sur ces (ses !) 15 hectares, Monsieur “X” n’entreprendra rien. Strictement rien. Il attend... Les herbes continuent à y rester séchées.
Il attend et il voit la Commune du Port endiguer la Rivière des Galets, celle de Saint Paul y prenant également sa part, à proportion de. Puis, il voit les lignes haute tension EDF sillonner les airs, au dessus et aux alentours de ses 15 hectares. Monsieur “X” se dit qu’il a bien fait d’attendre... D’autant que des industriels (Urcoopa, Ouest Concassage et bien d’autres) édifient dans le coin d’importants bâtiments pour y recevoir d’importantes activités. Que voilà qui ne saurait déplaire à Monsieur “X” ! Lequel, un jour, voit arriver la cerise sur le gâteau : la Région réalise « l’Axe Mixte » , une super belle route, à quelques dizaines de mètres de ses 15 hectares d’herbes. Pour lui, c’est le jackpot.
Dans sa petite tête où souffle un grand sens des affaires, son terrain vaut aujourd’hui au moins 400 euros du mètre carré. Il va donc s’y essayer...
Face à cela, il y a la riposte. C’est à la volonté politique de s’y opposer. C’est possible.
J’ai sous les yeux un document. Le propriétaire de 16.741 m2 de terrains situés à la Souris Chaude, à Trois Bassins, en veut pour 500.000 euros. Il en aura 164.110 euros. Et encore, mes collègues du TCO ont eu tort d’avoir la faiblesse de rajouter 10% au prix de 154.100 euros fixé par le Service des Domaines et confirmé par le juge d’expropriation.
Trop souvent, des communes ou EPCI ou encore l’EPFR se sentent “obligés” de céder au « sillon des habitudes » des 10% de marge qu’autorise la loi par rapport à l’estimation des Domaines. Car, on le sait, “le jugement” de ce service, dont les fonctionnaires sont de qualité, intègre « l’environnement socio-économique » du bien foncier. Un environnement qui a pris de la valeur uniquement en raison des investissements réalisés par la puissance publique.
Or, si on peut comprendre qu’un investisseur souhaite être propriétaire du terrain (soit par achat direct, soit sur la base d’un bail de longue durée) sur lequel il va monter usines, dépôts ou logements, quelle complaisance peut-on avoir pour celui qui a acheté à “l’époque”.
et qui attend le bon moment pour revendre ? L’affaire “Emmanuel De Balman”Ò vient illustrer de manière on ne peut plus claire ce dont la nature humaine est capable quand il s’agit de s’approprier à bon compte (et avec un vernis de légalité) les terres que le bon Dieu a données à l’Homme pour que chacun puisse vivre ici bas.
Ce lundi 27, une des trois commissions de l’Observatoire des Prix doit se pencher sur cette énorme question du foncier à La Réunion. Les données sont simples, le contexte explosif.
Nous ne plaindrons pas le directeur de l’Agorah, Monsieur Philippe Jean-Pierre, qui préside ce groupe de travail. Il ne sera pas pauvre d’avoir accepté d’affronter la difficulté. On a même le devoir de l’aider à aller le plus loin possible dans la mise à nu d’un système qui pue l’archaïsme de notre modernité.

Raymond Lauret


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