Pendant que certains se la coulent douce...

17 janvier 2007

Chaque jour ou presque, notre vie est faite de “petites choses”, des « choses de peu », comme le dit le sociologue Philippe Santot. Tenez, samedi dernier 13 janvier.
Il est 9 h 30 environ. Une voiture se gare sur le parking de Leader Price, à La Possession. L’homme qui en descend porte une grande glacière. Il se dirige vers l’entrée du magasin d’où sort une autre personne qu’il connaît bien, sans doute un voisin. Echanges :
« Bonjour... Alors, comment ça va ?... Rien qu’ça même ou l’a nu roder ?...

- Ben oui, mon madame l’a besoin rien qu’deux pieds salade ... ».
Et ils se saluent en se la souhaitant bonne et heureuse.
L’homme entre donc. Il est 9 h 35 environ. Il commence ses achats : un paquet de 3 saucisses et un autre de 4 hanches de poulet Créolia, une dizaine de yaourts fruités, un sachet de mûres mandarines, des haricots verts fins surgelés et une boîte de 10 sorbets aux fruits.
Ça n’a pas trop tardé. Il en a déjà fini.
A chacune des deux caisses, il y a une jolie petite file. Notre homme s’installe dans une. Ça va assez vite... Les clients - surtout des clientes - passent les uns après les autres.
C’est lorsque la dame qui est juste devant lui dépose sur le présentoir ce qu’il y a dans le panier qu’elle poussait avec le pied que l’homme a un sursaut. Sans doute de condition modeste, la quarantaine, la dame vient d’y saisir un, puis un autre sac de riz. Deux gros sacs de riz donc. C’est tout...
« Ça pèse combien ? » lui demande alors l’homme quand leurs regards se croisent. « Chaque paquet y fé 10 kilos. C’est pou le mois », répond-elle tout en sortant de son petit porte monnaie deux billets de 10 euros soigneusement pliés. La caissière, une poignée de secondes après, lui rend deux pièces de 20 centimes d’euro qu’elle range vite dans son petit porte monnaie. Et elle s’en va, cahin - cahin, ployant sous le poids de sa marchandise.
Lorsque, à ce moment, je pose sur le tapis de la caisse mes saucisses et mes hanches de poulet, mes yaourts et mes mandarines, mes haricots verts et ma boîte de sorbets, je ne peux pas ne pas ressentir une grosse gêne... presqu’un sentiment de culpabilité... l’inconfort qui vous prend quand vous constatez que certains doivent tirer le diable par la queue pendant que vous vous la coulez douce. Car ce que j’ai dans ma glacière et que j’ai payé avec ma carte de crédit sans me poser de question sur le montant de la facture, c’est ce que mon épouse, mes deux petits-enfants qui sont à la maison et moi-même, nous allons engloutir le temps d’un, voire peut-être deux repas...
En sortant, l’homme retrouve l’autre personne, qui est en grande conversation avec quelqu’un d’autre. Il est 10 h 10. Ça cause, ça cause. Ça a l’air d’être particulièrement intéressant.
« Mi ramène à ou un bout ? » que je lui dis, histoire qu’il rapporte vite à son épouse qui les attend depuis trois quarts d’heure les deux pieds de salade. « Non, allez à ou... mi monte dan’un ti l’instant », qu’il me répond.
Voila... Mon histoire est finie. Deux morales en ressortent : la première, c’est que pendant que certains dépensent 42 euros pour quelques douceurs qui seront consommées en deux fois et un jour, d’autres sortent de Leader Price avec 20 kilos de riz qu’ils devront faire tenir un long mois. La seconde, c’est que pendant qu’une mère de famille porte à bout de bras deux sacs de riz de 10 kilos chacun, certains hommes, devant leur boutique, discutent avec leurs copains, les deux pieds de salades de leur madame à la main...

Raymond Lauret


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